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Photo du rédacteurRobert Dutil

Élire un président américain

Dernière mise à jour : 12 mai 2022

Collège électoral ou le suffrage universel

Hillary Clinton, première femme candidate d’un des deux grands partis politiques à la présidence des É.-U.en 2016.



Les élus ne défendent que les intérêts de leurs seuls électeurs. Les autres sont laissés pour compte. On le comprend. Il n’y a là rien d’étonnant. Les candidats idéalistes, qui veulent défendre tous les citoyens, perdent simplement leurs élections aux mains des politiciens, plus « machiavéliques » disent les uns, plus « réalistes » disent les autres. Ces derniers ciblent en effet leurs promesses sur leurs gains électoraux potentiels … et gagnent.


Aussi, pour corriger cette injustice, au début du 19e siècle, en pleine révolution industrielle, l’une des exigences de groupes de plus en plus nombreux et turbulents dans les démocraties existantes concernait l’extension du droit de vote. On espérait qu’ainsi, dorénavant, les intérêts de tous pèseraient dans la balance.

Dans la nouvelle République des États-Unis d’Amérique en 1789, ce droit de vote n’avait été accordé qu’aux seuls propriétaires mâles, soit environ 3 % de la population. À peine 120 000 citoyens sur 4 000 000. Il fut élargi en 1864 à tous les citoyens mâles libres et majeurs; peu après, l’esclavage ayant été aboli, le nombre d’électeurs augmenta d’autant, bien que dans ce cas, la concrétisation de ce droit nécessita de longues et violentes batailles. Puis, au début du 20e siècle, les femmes l’obtinrent également de haute lutte. À la fin de ce long processus, 100 % des habitants majeurs des États-Unis d’Amérique pouvaient voter.


Le même processus s’appliqua aux grands électeurs devant choisir le président des États-Unis. On en vint à permettre à l’ensemble des citoyens de les choisir, plutôt que laisser ce choix aux politiciens de chaque État. Toutefois, dans la plupart des cas, pour des raisons difficiles à expliquer, le parti qui obtenait le plus de votes raflait tous les grands électeurs de cet État. Une répartition par district était aussi permise, mais peu d’États s’en sont prévalus. Aujourd’hui, seuls le Maine et le Nebraska l’appliquent.

Ce choix de donner tous les grands électeurs au parti ayant obtenu la majorité des voix dans l’État concerné a pour effet que quelques rares états, réputés pour obtenir des résultats serrés et changeants fréquemment d’allégeance, sont devenus des États courtisés par les candidats.

Ils font en effet la différence entre le gagnant ou le perdant de la présidence. On les appelle les « Swing State », les États « changeants ». Ils sont au nombre d’environ 10.


En règle générale toutefois, la logique mathématique avait pour effet que le président choisi était à la fois celui qui obtenait le plus de grands électeurs et le plus de votes globalement dans l’ensemble des électeurs, surtout dans un pays où le nombre allait passer graduellement de 13 à 50 États et d’une population de 4 millions à plus de 300 millions d’habitants.


Il y eut cependant 5 exceptions en 58 élections depuis 1788, soit 8 % des cas, où le vainqueur obtint le plus de grands électeurs, mais moins de suffrages de la population; la première se produisit en 1824 [1] la seconde se produisit en 1876 [2]. Le suffrage universel avait été institué à ce moment-là, mais cette dénomination est inexacte puisque les femmes n’avaient toujours pas acquis le droit de vote. Le troisième se produisit en 1888 [3], encore là sans le vote des femmes.


Puis 120 ans passèrent sans que ce phénomène se reproduise. Lors des 30 élections qui suivirent, le président élu par les grands électeurs fut également celui qui avait obtenu le plus grand nombre de votes populaires. On croyait que les 3 exceptions passées n’avaient pratiquement aucune chance de survenir à nouveau.


Néanmoins, une quatrième exception survint en 2000, créant une vive tension dans le pays. Ce furent les résultats très serrés de la Floride qui maintinrent le suspense pendant un mois avant que la Cour suprême n’interrompe les recomptages à répétition. Cette décision entraîna la confirmation du républicain George W. Bush à la présidence avec tout juste la majorité des grands électeurs soit 271 sur 538, malgré une différence de 500 000 voix au vote populaire en faveur d'Al Gore [4].


Et il y eut la fameuse 5e exception de 2016 où le nombre des grands électeurs confirma clairement l’élection du républicain Donald Trump bien que celui-ci ait obtenu environ 3 millions de suffrages en moins au vote populaire que son adversaire démocrate Hillary Clinton.[5]

Il importe peu que le choix soit finalement l’un ou l’autre des candidats, à la condition que le perdant reconnaisse sa défaite et collabore à la passation pacifique des pouvoirs.

Ce fut le cas en 2000 où le candidat démocrate Al Gore a reconnu sa défaite aux mains du républicain George W. Bush; et en 2016 où la candidate démocrate a reconnu sa défaite aux mains du candidat républicain Donald Trump.


Mais ce ne fut pas le cas en 2020 où le président Trump, bien que clairement défait à la fois au Collège électoral et au vote populaire, prétendit malgré tout qu’il était vainqueur et que les résultats officiels étaient frauduleux, ébranlant ainsi la principale assise de la démocratie américaine.


Rappelons que la pandémie de la COVID-19 avait eu pour effet de gonfler considérablement le vote par anticipation. Ce vote par anticipation pouvait être exprimé de deux façons : soit directement dans des bureaux de scrutin prévus pour cet usage ou par la poste.


Le Parti démocrate a fait la promotion du vote postal, plus facile pour les clientèles plus craintives face à la COVID-19. De son côté, le Parti républicain a décrié ce mode de votation comme susceptible de générer des fraudes massives. Cette accusation n’est toutefois pas étayée par quelque preuve que ce soit.


Ces stratégies différentes ont eu l’effet suivant : le Parti républicain a dominé le vote effectué le 3 novembre et dépouillé immédiatement. M. Trump s’est empressé de se déclarer vainqueur sans connaître les résultats des millions de votes effectués par la poste. Mais après quelques jours, le vote postal a confirmé qu’il était largement favorable aux démocrates. C’est ainsi que ces derniers ont rattrapé leur retard et finalement emporté l’élection.


Bref le dépouillement final a donné 81 282 896 voix (51,3 %) pour Biden et 74 222 484 (46,8 %) pour Trump, soit plus de 7 millions de voix de plus pour Biden. Quant au nombre de délégués au Collège électoral, celui qui compte dans le système américain, il a été de 306 démocrates et de 232 républicains. Encore là, une claire majorité pour les démocrates de Biden. Malgré cela, Donald Trump a refusé de reconnaître sa défaite, ouvrant la porte à une transition sinon violente, du moins difficile.

La situation actuelle devrait amener bien des Américains à se rallier à un amendement constitutionnel qui établirait que le vainqueur de la présidence sera dorénavant celui qui aura reçu le plus de votes populaires. Quant au Collège électoral, il serait aboli.

Le compromis fait lors de l’adoption de la Constitution concernait surtout le Sénat. Il a été établi que chaque État aurait 2 sénateurs au Congrès sans égard à sa population pour donner du poids aux États moins populeux. Mais ce compromis n’a rien à voir avec l’élection présidentielle, car, dans ce cas, le vote est déjà proportionnel au nombre d’électeurs de chaque État.


Toutefois, les lois ou la tradition ont eu pour effet d’attribuer tous les grands électeurs d’un état aux représentants du parti qui a obtenu le plus de votes populaires dans cet état comme mentionné plus haut. C’est pourquoi le vainqueur n’est pas toujours celui qui obtient le plus de suffrages populaires.


Abolir le Collège électoral et décider que, dorénavant, le président élu est celui qui obtient la pluralité des votes populaires n’aurait rien d’une révolution et serait vraisemblablement bien acceptés de la population.


Cette proposition a d’ailleurs été présentée par Elizabeth Warren, candidate défaite à la convention démocrate en 2019. Hillary Clinton, ex-première dame de 1992 à 2000, ex-sénatrice de l’État de New York de 2001 à 2009, et ex-secrétaire d’État de 2009 à 2013, l’a également publiquement appuyée.


Il y aurait 12 États à ce jour qui seraient favorables à cette modification. Mais aux États-Unis, une modification à la Constitution exige d’être soutenus par les deux tiers des États, soit 34, pour continuer à cheminer dans le processus d’approbation. On peut toutefois espérer que les mésaventures actuelles amèneront d’autres États à se joindre à eux.

Cela permettrait d’éviter 2 dangers : tout d’abord, le choix du vainqueur serait clair. Il est quasi impossible que le nombre total de suffrages de tous les États-Unis soient si proches qu’il faille un recomptage national pour les départager.

D’ailleurs, aucune élection présidentielle depuis 1789 n’a été assez serrée pour être renversée en ayant comme critère le vote populaire. Un atout pour la stabilité politique, un atout pour la paix sociale et un atout pour la passation en douceur des pouvoirs.


L’État de Géorgie vient de faire une démonstration éloquente de cette situation. Rappelons qu’en 1787, la Constitution prévoyait que les sénateurs seraient nommés par les législatures de chacun des États. On constata bientôt qu’en pratique, leur choix était dominé par les gens d’affaires et les machines politiques. Le 17e amendement à la Constitution, ratifié en 1913, rectifia le tir en imposant ce choix au suffrage universel.


De plus, les États eux-mêmes peuvent ajouter certaines conditions. C’est ce qu’a fait l’État de Géorgie en décrétant que les candidats-sénateurs devaient obtenir plus de 50 % des voix pour être élus, à défaut de quoi un second tour de scrutin serait tenu entre les deux candidats ayant obtenu le plus de vote. À la suite de la démission de l’un des sénateurs, le hasard a voulu qu’un tel vote de second tour se tienne pour les 2 sénateurs de l’État de Géorgie le 5 janvier 2021.


La victoire surprise des démocrates dans les 2 cas a entraîné une égalité de 50 démocrates et 50 républicains au Sénat. Dans un tel cas, le départage se fait par le président de cette institution, en l’occurrence, la démocrate et vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris. Les démocrates reprennent donc ainsi le contrôle du Sénat.


Voilà un scénario qui aurait pu générer une vive opposition. Il n’en fut rien. La raison est simple : le vainqueur est clairement celui qui obtient le plus de votes au suffrage universel. Pas de district, pas de collège électoral, pas de législature d’État, pas de tribunaux. Non. Simplement le résultat du décompte du suffrage universel. Aussi, malgré leur défaite crève-cœur dans les 2 cas, les républicains ne le contestèrent pas et acceptèrent leur défaite.


Mais revenons maintenant au second argument favorisant cette solution : le risque « d’achat » de vote serait diminué.

Quelle est la différence entre promettre des faveurs gouvernementales à un individu en échange de son vote et l’achat de votes par des promesses électorales visant spécifiquement un État pour ainsi arracher le total des grands électeurs de cet État? Tel est pourtant le marchandage éhonté des partis à l’approche des élections aux É-U. Les 2 organisations ratissent les Swing States (les États dont le vote est suffisamment serré pour basculer soit d’un côté, soit de l’autre), sans égard à l’équité de leurs promesses. Une situation assimilable à de la corruption.


Enfin, ce changement permettrait de connaître le résultat du vote rapidement après le dépouillement comme ce fut le cas en Géorgie dès le lendemain, 7 janvier, et comme c’est le cas dans la plupart des démocraties modernes du monde. Elle permettrait de raccourcir d’autant l’interminable passation des pouvoirs dans ce pays.

Non seulement les États-Unis, mais également le monde, ne peuvent pas se permettre ces 11 semaines d’incertitude. Ce pays n’est plus la lointaine et petite colonie agricole de 4 millions d’habitants sur le littoral atlantique en Amérique du Nord de 1787. Il est aujourd’hui le pays le plus riche, le plus puissant et l’un des plus vastes et populeux du monde, avec plus de 300 millions d’habitants.


Cette modernisation du système électoral est cruciale et la pénible situation actuelle devrait amener les décideurs politiques à la prôner. Ce ne serait pas la première modification constitutionnelle obtenue par la pression de la situation politique, comme je l’expliquerai dans la prochaine lettre.




[1] En 1824, il y avait 4 candidats à la présidentielle. Aucun n’ayant atteint la majorité des grands électeurs qui totalisait alors 262 membres, l’élection fut transférée à la chambre des représentants. Le total des votes populaires n’atteignait que 366 000 citoyens sur une population estimée alors à 9,6M d'habitant, soit 3,8 % de la population, car le suffrage universel n’avait pas encore été institué. [2] En 1876, le résultat fut très serré : le gagnant Rutherford obtint 185 grands électeurs contre 184 pour son adversaire Tilden, mais le vote populaire donna 4 034 000 voix (48 %) au gagnant contre 4 288 000 voix (51 %) au perdant. [3] En 1888, Harrison obtint 233 des 401 grands électeurs, mais 5 443 892 voix (47,8 %) contre 5 534 488 voix (48.8 %) pour son adversaire Glover Cleveland. [4] En 2000, Al Gore obtint 50 999 897 voix contre 50 456 002 voix pour George W. Bush. [5] En 2016, 306 grands électeurs pour Donald Trump contre 232 pour Hillary Clinton. Mais au vote populaire, Trump obtint 62 985 106 voix (45,9 %) contre 65 853 625 voix (48,0 %) pour Clinton.



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