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Constitution 6 : L’ACCORD DE CHARLOTTETOWN

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022


Brian Mulroney premier ministre du Canada



À la suite de l’échec de la ratification de l’accord du lac Meech, il y eut plusieurs études pour rebâtir les ponts et trouver un nouvel accord. Après bien des commissions et consultations, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se réunirent de nouveaux à plusieurs reprises pour en convenir. Le 28 août 1992, ils y parvinrent et obtinrent cette-fois-ci l’unanimité des 11 assemblées législatives.


Le premier ministre Mulroney décida néanmoins de soumettre cette nouvelle entente appelée « accord de Charlottetown » à un referendum national.


On avait effectivement reproché aux gouvernements d’avoir concocté l’accord du lac Meech derrière des portes closes sans l'accord explicite de la population. Un referendum gagnant allait éliminer cette objection.


Et qui dit referendum dit campagne référendaire. Au cours de cette période, tous les députés de notre formation politique furent embrigadés pour aller défendre le OUI dans leur comté respectif et les ministres durent également faire campagne dans l’ensemble de la province pour raffermir cet appui.


Je multipliai les rencontres avec des groupes de citoyens pour expliquer ce nouvel arrangement. Toute notre organisation participait à cette campagne, sauf évidemment ceux qui étaient en désaccord avec elle, car, même dans nos rangs, elle ne faisait pas l’unanimité.


Tous les efforts furent consentis pour essayer de l’emporter dans la plupart des 125 comtés du Québec.


Rien n’y fit. Un désaccord sur un seul sujet suffisait pour qu’un électeur vote contre l’ensemble de l’accord.


Le 26 octobre 1992, cinq provinces le rejetèrent, y compris le Québec avec 56,6 %. Globalement, il fut également rejeté au global des électeurs canadiens avec 54,3 %.


Il faut rappeler que le nouvel accord comportait plus de rubriques que le précédent, mais, pour des raisons éminemment pratiques, ce referendum se résumait à une seule question : approuvez-vous ce nouvel accord?


Il en fut donc de ce referendum comme de beaucoup d’autres dans le monde. Si vous posez une seule question à propos de sujets multiples, il ne faut pas vous étonner de la réaction des électeurs. Il suffit qu’ils soient en désaccord avec un seul des sujets traités pour que leur vote soit négatif, et puisqu’ils ne peuvent voter que globalement, ils votent globalement NON même s’ils sont favorables à la plupart des sujets en question. Voilà la difficulté majeure contre laquelle il fallut argumenter tout au long de cette période.


Et effectivement les électeurs des comtés comme le mien émettaient des objections étonnantes à propos de certaines clauses. J’en souligne deux qui, à ma grande surprise, firent particulièrement débat en Beauce-Sud : la réforme du Sénat et la question autochtone.


La réforme du Sénat ne faisait pas consensus dans la région. On aurait souhaité plutôt son abolition que cette réforme. Cette question, qui me paraissait secondaire dans l’ensemble du débat, entraîna cependant un nombre étonnant de NON.


Quant à la question des droits des autochtones, son importance fut encore plus étonnante que la région ne comporte aucune réserve autochtone. Qui plus est, bien des familles savaient fort bien que du sang amérindien coulait dans leurs veines, parce que bien des blancs s’étaient liés avec les Abénakis qui habitaient la région avant leur arrivée. C’était d’ailleurs le cas de ma propre famille. Mon grand-père maternel avait une grand-mère autochtone.


Mais rien n’y fit. La force des préjugés ne pouvait être surmontées en quelques semaines de campagne référendaire. Et encore là, bien des électeurs votaient NON pour ce motif.


Ce phénomène est pourtant bien connu. Les électeurs rebutent à se voir imposer un ensemble d’accords n’ayant pas nécessairement de liens les uns avec les autres en une seule question. Et il est pourtant bien difficile de multiplier les questions dans un exercice de ce genre. Tous ceux qui discutèrent directement avec les électeurs au cours de la campagne purent le constater. Ces derniers ne s’opposaient pas à ce qu’un accord soit enfin trouvé, mais ils s’opposaient aux propositions concernant tel ou tel sujet. Ces désaccords ne concernaient pas tous les mêmes sujets, mais le résultat, lui, était invariablement le même : ils allaient voter NON, même en sachant que ce vote détruirait l’entente.


Dans mon propre comté de Beauce-Sud où j’avais pourtant obtenu une exceptionnelle majorité à la dernière élection, on vota majoritairement NON.


On se retrouvait une nouvelle fois dans les limbes constitutionnelles, mais cette fois-ci, il fallait assumer un précédent des plus contraignant : malgré l’insuccès de ce referendum, il venait en quelque sorte consacrer l’obligation référendaire pour adopter des changements constitutionnels ce qui paralyserait vraisemblablement toute initiative dans le futur sauf pour des cas urgents ou sur des sujets précis.


Les fédérations ont pourtant besoin d’un mécanisme efficace pour évoluer. La formule de changement constitutionnel adopté en 1982 lors du rapatriement comporte un niveau de difficulté suffisant pour éviter des changements trop faciles et fréquents, mais les rend néanmoins possibles lorsqu’il existe un niveau d’acceptation suffisamment élevé pour les faire adopter. Ce n’est toutefois pas le cas de la formule référendaire, trop lourde et sans nuance.


Puisque la société réclame un mécanisme de ratification de la population et que celui d’un referendum présente des faiblesses majeures, il y aurait lieu de se creuser la cervelle pour satisfaire cette revendication par une méthode mieux adaptée.


Le système judiciaire en a expérimenté une de longue date. Elle n’est pas sans défaut, mais rejoint l’objectif visé : le système de jurés. Un groupe de citoyens est choisi au hasard dans la population pour siéger dans un procès en vue de déterminer la culpabilité ou non d’un accusé sur un ou plusieurs chefs d’accusation. Les membres du jury ont le devoir d’assister au procès et d’entendre les arguments de l’accusation et de la défense. Puis ils rendent un verdict.


Transposons ce système en l’adaptant en vue de l’approbation ou non de changements constitutionnels.


Les gouvernements soumettraient leurs recommandations de modifications constitutionnelles non pas à l’ensemble des citoyens par referendum, mais plutôt à un groupe de citoyens choisis au hasard.


Leur nombre pourrait être de 1000 personnes en vue de s’assurer que l’échantillon soit suffisamment élevé pour diminuer la marge d’erreur entre l’opinion de cet échantillon et celui de la population totale.


Cette première étape franchie, les citoyens choisis seraient tenus d’entendre les arguments des représentants des deux groupes pour mieux appréhender les avantages et inconvénients de chaque position. On pourrait s’attendre à ce que les citoyens choisis prennent ce devoir de réflexion avec une plus grande attention que lorsque leur voix est noyée par la totalité de la population.


Et à la suite de cet exercice d’information et d’argumentation, ils pourraient voter sur le ou les sujets sur lesquels des ajouts ou modifications sont proposés par les gouvernements. Cette dernière étape éliminerait probablement le plus grand inconvénient d’un referendum : le relativement petit nombre d’électeurs permettrait de diviser le dossier en autant de questions qu’il serait nécessaire de poser pour la bonne interprétation des réponses. Les changements acceptés pourraient alors entrer en vigueur dès ce vote final et les changements rejetés le seraient clairement et sans ambiguïté.


Il existe sans doute une multitude d’autres façons de procéder pour améliorer ce processus décisionnel, mais une chose est désormais certaine : le referendum global sur des ententes complexes et globales ne convient pas.


Le Canada venait d’en faire la douloureuse expérience. Et le cul-de-sac constitutionnel se poursuivit.

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