top of page
Photo du rédacteurRobert Dutil

Financement politique: la refonte Drainville

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022


Bernard Drainville en compagnie de Françoise David, Robert Dutil et Gérard Deltell


Lors de l’élection du 4 septembre 2012, le Parti libéral perdit le pouvoir aux mains du Parti québécois dirigé par Mme Pauline Marois qui avait fait élire 54 députés. Ce nombre était toutefois insuffisant pour former un gouvernement majoritaire.


Les libéraux formèrent l’opposition officielle avec 50 députés, dont moi, élu de justesse. Le chef du Parti libéral, Jean Charest démissionna et Jean-Marc Fournier assuma l’intérim. La seconde opposition, la CAQ dirigée par M. François Legault, avait fait élire 19 députés, et Québec solidaire en obtint 2.


Mme Marois nomma Bernard Drainville "ministre responsable des Institutions démocratiques".


Lorsqu’il était dans l’opposition, Bernard Drainville était l’un de nos adversaires le plus pugnace et le plus efficace; il savait faire ressortir les côtés dramatiques d’une situation et attaquait notre gouvernement avec éloquence et férocité. Il allait s’avérer l’un des ministres les plus dynamiques du nouveau gouvernement.



Il entendait faire adopter rapidement quelques projets sur les institutions démocratiques, dont celui proposant de nouvelles modifications à la Loi sur le financement des partis politiques qu’il déposa dès l’ouverture de la session.


Dans ce dossier, la CAQ désigna Gérard Dell, ex-journaliste connu et respecté, qui avait été élu député en 2008 sous la bannière de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Ce parti, fondé et dirigé par Mario Dumont depuis 1994, avait formé l’opposition officielle sous le gouvernement minoritaire de Jean Charest à l’élection de 2007, passant près de former le gouvernement (PLQ - 48; ADQ - 41; PQ - 36). Mais, à la suite d’une élection précipitée l’année suivante, son parti fut ramené à sept députés, et M. Dumont démissionna comme député et chef de l’ADQ, ouvrant la porte à une course à la chefferie qui allait précipiter son parti dans une crise interne majeure.


Contre toute attente, à la suite de quelques rebondissements, Gérard Deltell en devint le chef. Il héritait d’un parti souffrant de difficultés de financement et en perte de vitesse dans les sondages devant la montée d’un nouveau parti « la Coalition avenir Québec », nouvellement créé par un ancien ministre péquiste, François Legault. L’ADQ fusionna finalement avec la nouvelle coalition (CAQ), réglant une bonne partie de ses problèmes bien que cela entraîna des complications imprévues lors de la mise en commun des caisses électorales.


Quant à la CAQ, cette alliance avec l’ADQ lui permit un accès immédiat à l’Assemblée nationale avec 7 députés.


Mes relations personnelles avec Gérard Deltell étaient excellentes et sur le dossier spécifique du financement des partis politiques, nous partagions la même opinion sur plusieurs aspects, ce qui nous facilita le travail lors de cette commission parlementaire.

De son côté, Québec solidaire décida de nommer Françoise David comme porte-parole de la troisième opposition plutôt qu’Amir Khadir, le seul autre député élu de cette formation que je connaissais bien, ayant siégé avec lui depuis 2008.


Je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer madame David , ne la connaissant que par l’image publique qu’elle projetait. Bien que nouvelle parlementaire, madame David avait une longue expérience du combat politique, mais bien sûr, dans un registre beaucoup plus à gauche de l’échiquier que le Parti libéral. Nous eûmes à ce moment-là une rencontre informelle. Contrairement à la croyance populaire, les députés des différentes formations politiques ont souvent des discussions de ce genre. Les ministres s’y adonnent volontiers, par respect d’un membre de l’Assemblée nationale, sans égard à leur différence d’allégeance. Dans ce cas-ci, la présence d’élus de quatre formations politiques différentes créait une dynamique encore plus propice à ces rapprochements.


Lors de cette conversation, madame David et moi en sommes venus rapidement au dossier du financement des partis politiques. En privé, elle s’exprimait avec une douceur que l’on pouvait prendre pour de la timidité, mais, comme je m’en aperçus rapidement, il n’en était rien. Je qualifierais son attitude de politesse sincère. Elle ne coupait jamais la parole, s’exprimait avec aisance et clarté, d’un ton égal, vous regardait droit dans les yeux pendant la conversation et s’écartait le moins possible du sujet. Le contact était aussi chaleureux que cela est possible dans une situation d’opposants politiques.


Il faut dire que ce dossier était crucial pour Québec solidaire dont les finances étaient serrées. Cette rencontre lui permettait sans doute de vérifier l’évolution de la position des libéraux dont j’avais été désigné porte-parole.

Le ministre Drainville devait composer à l'intérieur d’un gouvernement minoritaire comme les libéraux l’avaient vécu en 2007. Il n’allait pas se laisser intimider pour autant, mais il se devait d’en tenir compte pour faire adopter son projet avant le congé des Fêtes. Bien que, pour des raisons différentes, tous les intervenants étaient d’accord avec cette échéance dont l’une était d’en finir avec les tensions générées par le financement politique qui ne cessaient de faire la manchette dans la presse.


Le ministre s’assura donc que la commission parlementaire responsable de son adoption allait prioriser ces discussions et on reçut rapidement les convocations, de même que les dates de rencontres avec les représentants appropriés du DGE (Directeur Général des Élections) pour supporter son travail.


On parvint à un accord rapide sur certains sujets qui ne faisaient pourtant pas consensus quelques temps auparavant. L’un de ceux-là concernait une hausse du financement public en fonction des votes obtenus aux dernières élections; on approuva la recommandation du ministre de passer de 0,80$ à 1,50$ par vote obtenu. Ce montant allait être financé en grande partie par l’abolition des crédits d’impôts donnés aux citoyens qui faisaient des dons au parti de leur choix.

Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, avait fait cette proposition deux ans plus tôt. Elle avait été rejetée par les trois autres partis. On constatait maintenant, deux ans plus tard, que son plaidoyer était bien fondé : il estimait dès ce moment-là qu’il s’agirait du meilleur moyen d’éliminer le phénomène des prête-noms, stratagème soupçonné d'être largement utilisé par les partis.

La commission maintint toutefois en partie ces crédits d’impôts jusqu’à un montant de 250 000 $ par parti par année, pour permettre aux partis émergents et aux plus petits partis de réaliser un financement minimum. Il s'agissait d'une revendication majeure de Québec Solidaire auquel j'étais sensible par ma propre expérience des défis inhérents à la création d'un parti politique quelques années plus tôt.


Le second grand changement concernait le niveau des dons. Le ministre proposait de le réduire de 1 000 $ à 100 $. Il s’y était engagé fermement et publiquement lors de la campagne électorale. Son objectif était de rendre le phénomène des prête-noms non seulement inintéressant sur le plan fiscal, mais également impraticable. À son avis, on ne pourrait pas garder secret un système illégal qui allait inclure des dizaines de milliers de donateurs. Et, si le don maximum était fixé à 100 $, pensait-il, le nombre s’élèverait à plusieurs dizaines de milliers de donateurs, un nombre effectivement trop élevé pour garder le système à l’abri des regards, d’autant que le nom des donateurs est public.


Ce raisonnement avait du mérite : il permettrait entre autres d’enlever l’influence politique de certains donateurs dont l’objectif n’était malheureusement pas de promouvoir leurs convictions politiques, mais bien celle de leurs intérêts personnels.


Toutes les organisations politiques sont aux prises avec ce genre de personnages agglutinés aux partis au pouvoir pour obtenir des faveurs.

Cependant, les limites fixées au don maximum doivent être justifiables dans une société démocratique où les citoyens ont le droit d’utiliser leurs ressources personnelles pour défendre leurs opinions. Et 100 $ nous paraissaient trop bas selon cet argument. On pensait qu’un minimum raisonnable serait 500 $ Mais un calcul rapide démontrait clairement que sous 200 $, les partis pourraient difficilement financer adéquatement leurs activités. Le ministre ne démordait toutefois pas de son chiffre devenu un symbole de la politique prônée publiquement par le gouvernement: ce serait 100 $ et rien d’autre. Les trois partis d’opposition étant majoritaires, il était possible d’imposer notre choix au gouvernement, mais nous estimions que la pression de l’opinion publique, enflammée par le ministre, nous empêcherait de le faire. La commission se trouvait dans un cul-de-sac.


Le ministre fit donc preuve d’imagination pour contourner le problème très réel que nous soulevions. La démocratie ne peut fonctionner avec des partis incapables de financer légitimement et adéquatement leurs activités. Il proposa finalement d’ajouter un financement public de 1. $ par vote obtenu lors de la dernière élection, et de verser cette somme à chacun des partis dès le déclenchement d’une élection. Il s’agissait d’un ajout total de fonds publics de 6 millions de dollars pour cette seule année électorale.

Il proposa de plus de permettre de hausser le don maximum des citoyens de 100, $ à 200, $ lors d’une année électorale, ce qui peut facilement représenter un ajout de 2 millions de dollars pour un parti bien organisé et bénéficiant d’une soutien populaire suffisant. Cette dernière proposition permettait de respecter la limitation du maximum de don par les électeurs à 100$ par année, trois années sur quatre, un compromis que le ministre trouvait acceptable pour respecter son engagement électoral.


Ces deux points réglaient une partie importante du problème, à la condition toutefois que le montant maximum de dépenses autorisées par les partis au cours d’une campagne électorale soit abaissé pour s’ajuster à cette baisse drastique du niveau de don individuel. Le ministre était d’accord avec le principe, mais se disait incapable de fixer correctement ce montant dans le cadre de ce projet de loi faute de données suffisantes. Il souhaitait reporter cette discussion à plus tard dans un prochain projet de loi.


Mais deux événements que je n’avais pas prévus ont entraîné un changement dans la position du Parti libéral.


Le premier événement a été la suggestion de Jean-Marc Fournier, chef intérimaire, de proposer publiquement un abaissement de ce plafond de dépenses électorales de 11 millions de dollars à 8 millions de dollars.

Jean-Marc était l’un des députés les plus expérimentés du caucus libéral en plus d’être le chef par intérim. Il avait la réputation tout à fait justifiée d’avoir un flair politique incomparable. Il possédait de plus un don tout aussi remarquable : la capacité de convaincre. Il était l’un des meilleurs orateurs du parti. Après sa présentation, le caucus libéral adhéra à cette suggestion que nous nous empressâmes d’annoncer en conférence de presse à la surprise générale. Mais, contre toute attente, le ministre résista à cette pression. Bien que surpris, je ne voyais aucune raison d’argumenter davantage. Le ministre faisait une erreur, à lui de l’assumer.


Le second événement fut l’intervention personnelle que me fit Gérard Deltell. Il appréciait notre proposition d’abaissement du plafond et insistait pour résister au refus du ministre. Il estimait à juste titre que ce dernier ne pourrait pas s’opposer efficacement aux trois partis d’opposition : d’abord nous avions la majorité, et, en second lieu, sa position était politiquement intenable. Je ne fus pas long à me laisser convaincre. Je savais d’expérience qu’il valait bien mieux adopter une loi complète immédiatement que de tenter de la corriger plus tard. « Un tien vaut mieux que deux tu l'auras. L’un est sûr, l’autre ne l’est pas » disait Jean de La fontaine dans l’une de ses célèbres fables.


Une conférence de presse, qui aurait été impensable quelques jours plus tôt, fut donc organisée séance tenante avec la CAQ, QS et le PLQ pour demander officiellement au ministre d’abaisser le plafond des dépenses électorales de 11 M$ à 8 M$. L’ironie de la situation fit bien rigoler la faune politique naviguant autour du Parlement; j’avoue y avoir moi-même pris un plaisir irrésistible.


Comme le pensait toutefois Gérard Deltell, le ministre ne put faire autrement que céder. Il proposa un plafond de 8,5 M$. Ironiquement, ce montant était plus haut que la proposition des oppositions. L’envie de tourner le fer dans la plaie ne manqua pas, mais les trois partis se retinrent. Le montant était raisonnable et fut accepté. On enterra la hache de guerre. La commission termina bientôt ses travaux et la loi fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.


La valeur d’une loi se mesure à son application. Avons-nous pris les bonnes décisions? Seul le temps nous le dirait. La loi aura bientôt 10 ans d’existence. Depuis lors, la tension ne porte plus sur elle.


Le Parlement semble avoir trouvé un juste équilibre assurant l’équité entre les divers partis politiques sur l’épineuse question du financement.

Rien n’est parfait bien sûr, mais en un peu plus d’un siècle, les progrès sur ce sujet furent majeurs, et cette loi semblait en fermer un chapitre des plus houleux.


Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page