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Photo du rédacteurRobert Dutil

Guerre et paix : l'équilibre de la terreur

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022


Le président Truman (1944-1952)



Alfred Nobel pensait que la crainte assurerait plus efficacement la paix dans le monde que mille apôtres charitables. Il décrivait l’équilibre de la terreur avant le terme. Il estimait en effet que les belligérants, craignant leur destruction mutuelle totale, renonceraient eux-mêmes à la guerre pour régler leurs différends.


L’augmentation de la puissance des armes à partir de l’invention de la dynamite en 1866 n’empêcha pas cependant les terribles conflits mondiaux de 1914-18 et de 1939-45.

Le bon sens qu’attendait Alfred Nobel des dirigeants politiques dut attendre l’invention d’une arme autrement plus destructrice pour tempérer leur ardeur belliqueuse: la bombe atomique.


La bombe atomique vient de l’émission d’énergie que provoque la fission d’un atome lourd (le plutonium). Celle qui a détruit la ville japonaise d’Hiroshima en 1945 était d’une puissance de 19 000 tonnes de TNT (19 kt). Ce genre de bombe peut atteindre jusqu’à un maximum de 500 kt. L'Union soviétique procéda à sa première explosion nucléaire en 1949, le Royaume-Uni en 1952, la France en 1960 et la Chine en 1964.


On aurait pu croire que le développement de la puissance de destruction d’armes avait alors atteint son extrême limite. Ce n’était pas le cas. Les savants réussirent à mettre au point une bombe des milliers de fois plus puissantes que la bombe atomique : la bombe à hydrogène. Cette technologie permettait de fusionner des atomes d’hydrogène pour en faire des atomes d’hélium entraînant un dégagement d’énergie équivalent à celui qui se produit sur le soleil. En effet, notre astre lumineux fusionne à grande échelle son hydrogène qui devient de l’hélium. Le phénoménal dégagement d’énergie que ces fusions génèrent nous procure lumière et chaleur malgré la distance de 150 millions de kilomètres qui sépare le soleil de la terre.


La bombe à hydrogène, c’est le soleil incandescent réincarné sur terre.

Le premier test d'une bombe thermonucléaire (nommé fréquemment « bombe H » pour « à hydrogène ») fut réalisé par les États-Unis le 1er novembre 1952. En 1954, ils en firent exploser une du nom de code « Castle Bravo », sur l'atoll de Bikini [1] qui dégagea une puissance de 15 méga-tonnes (Mt), soit deux fois et demie plus qu'attendu. Sa puissance est plus de 700 fois supérieure à celle d'Hiroshima. Le premier essai soviétique d'une bombe H, nommé RDS-37, eut lieu le 12 août 1953. La bombe H la plus puissante jamais testée est la « Tsar Bomba », de plus de 50 Mt, que l'Union soviétique fit exploser en 1961. Elle était 2 500 fois plus puissante que celle d’Hiroshima et provoqua une importante contamination radioactive. Ainsi, moins d’un siècle après l’invention de la dynamite par Alfred Nobel, les humains étaient parvenus à créer un explosif des milliers de fois plus puissant.


Et l’humanité était entrée dans la période de l’équilibre de la terreur et de la course aux armements la plus affolante de son histoire.

En raison de ses capacités de destruction surpassant démesurément celles des armes conventionnelles, la bombe atomique devint l’arme de dissuasion par excellence en vue de décourager toute attaque contre les intérêts vitaux d'une nation par crainte pour l'agresseur de subir en retour des destructions massives qui excéderaient de loin les avantages escomptés.


Cette course entraîna dans son sillage l’accumulation de 70 000 têtes nucléaires par les cinq membres permanents du conseil de sécurité des Nations-Unies : les États-Unis, l’Union soviétique, la Chine, Le Royaume-Uni et la France. Ces cinq nations, pourtant alliées entre 1939-45 lors de la guerre contre les puissances de l’Axe (plus particulièrement contre l’Allemagne et le Japon), s’opposaient dorénavant violemment sur le choix de leur régime politique. Les uns prônaient la liberté pour tous, dont celle d’entreprendre et de posséder les moyens de production appelés le capitalisme; les autres prônaient la propriété étatique de tous les moyens de production et une répartition égalitaire des richesses, appelée le communisme. Durant cette période, les tensions sur le terrain furent extrêmement vives.


Le premier président américain confronté à l'usage de telles armes fut Harry Truman, le remplaçant de F.D. Roosevelt, décédé en avril 1945. Il fit exploser deux de ces bombes sur le Japon pour mettre fin à la guerre. Mais lors de la crise de Berlin en 1948 et 1949, puis de la guerre de Corée à partir de 1950, il se refusa à l'utiliser à nouveau craignant un risque d'escalade, malgré la pression qu'exerçait sur lui le général Douglas MacArthur qui dirigeait alors l’armée des Nations-Unies dans la région et estimait son usage nécessaire pour la gagner.

Le président Truman décida alors de démettre de ses fonctions son fougueux général qui contestait ouvertement son autorité, même s'il était alors le général le plus populaire de l’histoire américaine à ne jamais avoir été président.[2] Harry Truman atteignit par la suite un tel niveau d’impopularité qu’il ne se représenta pas en 1952.


Il fut remplacé par Dwight Eisenhower, le général vainqueur des troupes alliées de la Deuxième Guerre mondiale. C’est l’époque où se développèrent des stratégies de dissuasion nucléaire qui demeurent encore, au XXIe siècle, une composante essentielle des politiques de sécurité nationale pour les principaux pays protagonistes de la guerre froide. Le nouveau président républicain rendit publique la doctrine des représailles massives en riposte à toute attaque ennemie.


Jusqu'à la crise des missiles de Cuba en 1962, sous la présidence de John F. Kennedy, qui amena le monde au bord de l’abîme d’une guerre mondiale nucléaire, les deux Grands pratiquèrent à plusieurs reprises la « diplomatie nucléaire », c'est-à-dire la menace plus ou moins explicite de l'emploi de ces armes si la partie adverse n'accédait pas à leurs demandes.

L'effort des Soviétiques pour rattraper leur retard dans le domaine des vecteurs nucléaires porta ses fruits au début des années 1960 : dès lors, le monde entre véritablement dans l'ère de l'équilibre de la terreur (ou en anglais : « Mutual Assured Destruction », les initiales MAD signifiant « fou »), caractérisée par la capacité d'infliger des dommages immenses à l'autre contre son territoire ou ses intérêts vitaux, même après une attaque surprise d'envergure.


Après la crise des missiles de Cuba qui a ébranlé le monde, Nikita Khrouchtchev, le secrétaire général du parti communiste d’URSS, conscient du grand risque de conflagration pour l’humanité que ces armes représentent, prit l’initiative d’introduire la notion de « coexistence pacifique ».

Il estimait que la guerre entre les deux systèmes, capitaliste et communiste, n'était pas inévitable et que, de toute façon, à son avis, le communisme triompherait grâce aux contradictions internes du capitalisme et à la supériorité qu’il prêtait au système communiste. Il s’ensuivit un apaisement graduel entre les deux grandes puissances de la planète, même si des combats sanglants se poursuivirent dans plusieurs régions ailleurs dans le monde.


Quant à la course aux armements, elle ne s’essouffla pas immédiatement. Dans le cadre de la stratégie de « dissuasion nucléaire » que l’on appela paradoxalement « Guerre froide », les États-Unis, l'Union soviétique, la Chine, le Royaume-Uni et la France, les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, accumulèrent jusqu'à 70 000 têtes nucléaires, un stock suffisant pour détruire plusieurs fois la terre.


Selon les données publiées régulièrement par la « Federation of American Scientists”, le stock d'armes nucléaires était, au début 2018, de l'ordre de 14 000 têtes de tous types. Sur ce total, environ 9 300 sont sous contrôle des forces militaires et donc susceptibles d'être montées sur des vecteurs. Sur ce nombre, environ 3 600 têtes sont en permanence déployées sur les vecteurs stratégiques des États-Unis, de la Russie, de la France et du Royaume-Uni, et environ 150 bombes tactiques B61 sont déployées par les États-Unis sur six bases dans cinq pays d'Europe, la Turquie, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie et la Belgique.


Un traité sur la non-prolifération des armes nucléaires fut signé en 1968. En 1972, un premier accord de réduction des armements nucléaires stratégiques (SALT I) fut signé. Les stocks d'armes nucléaires ont été depuis largement réduits. Il existait environ 14 000 têtes nucléaires à la fin de 2017.

En revanche, l'Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord ont développé l'arme nucléaire, portant à neuf le nombre d'États la possédant. Cependant, depuis les années 1990, les puissances nucléaires développent des armes miniaturisées qui ne sont pas destinées uniquement à la dissuasion, mais pourraient servir à l'attaque – que leurs promoteurs espèrent pouvoir limiter à un territoire restreint.


Selon Paul Quilès, un ancien ministre de la Défense français et président de l'Initiative pour le Désarmement nucléaire (IDN) : « Les grandes puissances nucléaires se livrent à une nouvelle course aux armements, en augmentant le nombre d’ogives, et surtout en perfectionnant leur précision et leur maniabilité. Il en résulte un accroissement des tensions internationales, où insensiblement on passe de la doctrine du « non-emploi » à la perspective de frappes nucléaires supposées limitées, qui pourraient déclencher une escalade infernale, détruisant la planète plus rapidement et plus définitivement que le réchauffement climatique. » [3]


La destruction mutuelle assurée s’était donc imposée et elle restera jusqu'à la chute de l'empire soviétique, la pierre angulaire de la stratégie de sécurité nationale des deux Grands. Stratégie de dissuasion, elle vise à rendre impossible la guerre entre les deux Grands et sa réussite se mesure par le non-emploi d'armes nucléaires de destruction massive.


Mais malgré la chute de l’empire soviétique, nous vivons toujours dans le système d’équilibre de la terreur. Les acteurs changent quelque peu, mais l’insécurité liée à une telle situation demeure.

[1] Le lieu privilégié de ces essais fut dans les lointaines îles Marshall sur un atoll nommé « Bikini ». En 1946, le créateur d’un costume de bain 2 pièces, Louis Réard, décida d’utiliser le nom de l’île pour lancer sa création : le bikini, car il estimait qu’il s’agissait qu’une « véritable bombe anatomique ». On a depuis longtemps oublié l’île, mais le costume de bain, lui, a explosé. [2] Six généraux d’armée sont devenus Présidents des États-Unis : George Washington 1789-1797 (1er); Andrew Jackson 1829-1837 (7e); William Henry Harrison 1841 (9e); Zachary Taylor 1849-50 (12e); Ulysse S. Grant 1869-1877 (18e); Dwight Eisenhower 1952-1960 (34e) [3] Paul Quilès, Tribune libre de Paul Quilès pour Green Cross.


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