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Photo du rédacteurRobert Dutil

Guerre et paix 5

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022

Justice internationale

Théodore Roosevelt, président des États-Unis 1901-1909



La justice internationale existe-t-elle? Les pessimistes diront clairement « non ». Les optimistes affirmeront que, bien qu’encore embryonnaire, plusieurs éléments nous permettent d’envisager son implantation graduelle.


On a souvent prétendu que ce que l’on appelle « justice internationale » réfère à la violence entre les peuples; aux agressions physiques entre eux; bref à la guerre.


Il est sûr que bien d’autres domaines mériteraient d’être sous le contrôle de lois internationales, car ce sont des problèmes globaux qu’aucun pays ne peut résoudre seul. Tel est le cas de la protection de l’environnement, du réchauffement climatique, du gaspillage des matières rares et d’une multitude d’autres sujets dont l’importance grandit au fur et à mesure que nous en prenons conscience. D'importants avancées existent d’ailleurs dans certains de ces domaines.


Mais on comprend également que la première préoccupation des peuples concerne leur sécurité physique.

C’est pourquoi la question de la violence entre eux continuera à dominer l’agenda tant et aussi longtemps que des solutions stables ne seront pas trouvées et bien implantées.

Avant d’aborder la question des conférences internationales qui ont eu lieu sur le sujet, il est intéressant de mentionner le « Alabama Claims » (les réclamations de l’Alabama) de 1871. Il s’agit de revendications faites par le gouvernement fédéral des États-Unis contre le gouvernement du Royaume-Uni pour dommages à leur marine marchande par des corsaires confédérés. En particulier au CSS Alabama (d’où le nom de cette cause).


Les parties ont faits appel à une cour d’arbitrage internationales à Genève en Suisse. Les États-Unis, qui avaient demandé, au choix, deux milliards de dollars américains ou la cession du Canada, reçurent 15,5 millions de dollars américains.


Cette décision, bien que très inférieure à la demande, est le premier exemple de recours à une juridiction supranationale dans ce genre de litige. Cette cause jeta les bases du "Droit international public" et figure dans le corps du "Traité de Washington" de 1871.

D’autres expériences suivirent bientôt pour remplacer les guerres de plus en plus désastreuses en victimes humaines et coûteuses en ressources physiques. Parmi celles-ci, rappelons la première conférence de la Haye en 1899. Elle n’aboutit finalement, comme mentionné dans une précédente lettre, qu’à un système d’arbitrage ni obligatoire ni contraignant au grand dam des pacifistes. Les grandes puissances militaires de l’époque s’opposaient à ces deux décisions.


Il est intéressant de rappeler toutefois que, malgré cet usage facultatif, le président des États-Unis d’alors, Théodore Roosevelt y fit appel pour régler un litige financier avec le Mexique, donnant ainsi à cet organisme sa première véritable cause à trancher.


Il faut aussi noter que ce même président américain s’impliqua personnellement comme médiateur à une conférence organisée entre la Russie et le Japon pour mettre un terme à la guerre russo-japonaise où la Russie s’était embourbée. Pour la première fois, un pays asiatique tenait tête à une puissance occidentale.

Cette médiation valut en 1906 à Théodore Roosevelt le premier prix Nobel de la paix décerné à un président Américain. Il succédait ainsi à Bertha Von Suttner.[1]

Mais ces pas innovateurs ne suffirent pas à empêcher les terribles conflits qui suivirent, dont les deux Grandes Guerres mondiales de 1914-18 et de 1939-45. Toutefois, malgré la déception des pacifistes de l’époque, il faut reconnaître aujourd’hui que ce résultat s’est avéré une semence féconde. Et un système de justice émergea peu à peu. Il continue toujours à se développer. Il ne s’agit pas de progrès constants; il y a eu parfois des reculs décourageants. Mais néanmoins, il se produisit des avancées qui auraient été impensables auparavant.


L’une de ces avancées concerna le rejet de l’impunité des chefs d’État, après les guerres qu’ils avaient provoquées ou encouragées. L’un des cas les plus célèbres fut le tzar de Russie, Nicolas II, qui fut fusillé en juillet 1918. Dans ce cas toutefois, plusieurs innocents y laissèrent leur vie. Toute sa famille fut massacrée par les bolcheviques qui avaient un objectif plus large : ils ne voulaient pas seulement punir le dirigeant, mais empêcher le retour sur le trône d’un héritier de la famille régnante et ainsi détruire la monarchie en Russie pour la remplacer par la « dictature du prolétariat », par le système communiste.


Le traitement du kaiser de Prusse (Allemagne), Guillaume II remis également en question le principe d’impunité antérieure des dirigeants belliqueux. En effet, en 1919, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale accusèrent le Kaiser de Prusse (Allemagne) Guillaume II, de crimes de guerres et voulurent lui faire un procès. Ce dernier y échappa en se réfugiant aux Pays-Bas qui refusèrent de l’extrader. Il passa néanmoins le reste de sa vie en exil, et la monarchie disparut aussi dans ce pays. Malheureusement, l’instabilité politique de la république que l’on installa par la suite en Allemagne aboutit à la dictature nazie.


Cette impunité ne fut en fait véritablement abolie qu’après la Seconde Guerre mondiale où cette fois-là, les dirigeants politiques de l’Allemagne furent non seulement accusés, mais également condamnés après un retentissant procès à Nuremberg. Jamais des dirigeants politiques n’avaient été condamnés par une cour de justice internationale à la suite d’un conflit.

C’est ce premier tribunal international de l’histoire qui introduisit la notion de crime contre l’humanité qui apparaît dans les statuts du tribunal et la notion de la responsabilité internationale des individus qui y ont pris part.

Il est caractérisé par les actes d’assassinat, d’extermination, de réduction en esclavage, de déportation et tous les actes inhumains, ou les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, commis à la suite des autres crimes entrant dans la compétence du tribunal.


Un tribunal similaire a été institué au Japon. Mais l’empereur japonais bénéficia finalement de l’immunité à la demande du président Truman et avec l’assentiment de la Grande-Bretagne, dans le but de stabiliser l’occupation du Japon et son système politique. Toutefois, tous les responsables japonais qui étaient jugés ont été reconnus coupables dans le jugement du 12 novembre 1948, sept étant condamnés à mort, 16 à l’emprisonnement à perpétuité.


Depuis lors, la définition de ces crimes s’est grandement raffinée. Ce sont là des progrès concrets qui devraient graduellement amener les puissants de ce monde à ne plus estimer que leurs gestes inadmissibles soient considérés comme non imputables.


Il fallut attendre cependant après la Guerre froide et la chute de l’Empire soviétique pour que des avancées plus substantielles émergent. Dans cette foulée, de nouveaux tribunaux internationaux, pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993 et le Rwanda (TPIR) en 1994 furent créés.


Puis, on en arriva en 2002 à la création de la Cour pénale internationale (CPI) par un traité international, le traité de Rome. Un important tournant dans l’histoire de la justice pénale internationale. Le traité de Rome a été ratifié à ce jour par 123 états. Il s’agit de la première juridiction perpétuelle à visée universelle, dont l’existence et la compétence ne sont pas limitées dans le temps.

Cet organisme a pour objectif de juger « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression.

En revanche, « la cour n’est pas compétente pour juger les personnes morales. Elle ne peut donc pas poursuivre un État ou une entreprise. »

Elle peut en être saisie de trois manières : par un État signataire du traité de Rome, par le conseil de sécurité de l’ONU ou par le procureur. Elle mène aujourd’hui onze enquêtes dans 10 États.


Il est toutefois important de noter l’importante faiblesse de cet organisme : « La CPI est, en effet, à l’image du droit international, prise dans l’éternelle tension entre l’affirmation de la souveraineté des États, qui cherchent à échapper à tout autre pouvoir, et la construction d’un droit commun supranational, qui vise à s’imposer aux États ».


Cette difficulté est exacerbée à l’ONU depuis sa constitution en 1945, par le fait que cinq membres détiennent un droit de veto au Conseil de sécurité, d’autant que ces cinq membres ont parfois des relations très tendues. Il s’agit d’un côté de la Chine communiste et de la Russie autocratique; et de l’autre, des démocraties libérales, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. D’ailleurs il est important de préciser que trois de ces cinq membres permanents du Conseil de sécurité n’ont eux-mêmes pas ratifié le traité de Rome, c’est-à-dire les États-Unis, la Russie et la Chine.[2]


Mais résumons les principes qui sous-tendent la CPI depuis : « en 1950, la CPI établit d’abord sept principes de droit international, qui expriment les règles juridiques issues de Nuremberg et doivent servir de fondement au développement du droit pénal international :

- Responsabilité des auteurs et complices de crimes internationaux même lorsque ces crimes ne sont pas punis en droit interne;
- Absence d'immunité pour les chefs d'État et les membres des gouvernements;
- Non-exonération de la responsabilité des individus ayant agi sur ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ;
- Droit au procès équitable;
- Définitions des crimes internationaux;
o Crimes contre la paix
o Crimes de guerre
o Crimes contre l’humanité »

La compétence matérielle de la CPI est toutefois limitée aux quatre crimes internationaux considérés comme les plus graves :

- Le crime de génocide;

- Le crime contre l’humanité;

- Le crime de guerre;

- Le crime d’agression (ajouté le 17 juillet 2018).


Mais de nombreux écueils jonchent encore la route vers un bon fonctionnement de cette nouvelle institution, en particulier la lenteur des procédures et la protection dont semblent bénéficier les puissants pour échapper au sort commun.


Entre autres, on débat actuellement de la possibilité que soit interdit tout veto à l’ONU dans les situations où des crimes de masse ont été commis. Et on essaie de plus de faire reconnaître la compétence de la Cour pour le crime de déportation. Il est même question qu’il puisse également être élargi aux crimes environnementaux.


Malgré ces pas incertains et trop lents, il est important de rappeler que l’existence même d’une telle juridiction internationale permanente représente une véritable réussite, longtemps inimaginable. Le chemin à parcourir reste cahoteux et long, mais il y a aujourd’hui un véritable espoir d’y parvenir.

[1] Les autres présidents qui le reçurent ont été Woodrow Wilson (1920) et Barack Obama (2009) [2] Il est important de ne pas confondre la Cour internationale de Justice de l’ONU, qui juge les différends entre États et non les crimes commis par les individus. La confusion est si commune que le site Internet de la CIJ met en garde les visiteurs de ne pas la confondre avec la CPI » p.16


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