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Photo du rédacteurRobert Dutil

Guerre et paix - le code Lieber-Lincoln

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022

Pour la conduite des armées sur le terrain

Abraham Lincoln, 16e président des É.-U., 1860-65



La guerre existe. Réalité inéluctable? Certains le croient. Plutôt que d’essayer vainement de la faire disparaître disent-ils, on devait, plutôt tenter d’établir quels seraient les comportements les plus « civilisés » au cours de ces périodes de violence.


Il est étonnant de constater que celle que l’on appela la « Première Guerre moderne » se soit déroulée sur le sol américain et non en Europe où pourtant on « guerroyait » ferme depuis des centaines d’années. À partir de 1860, en effet, les États-Unis, qui comptaient alors plus de 31 millions d’habitants, se livrèrent une guerre civile dont la durée et la violence surprirent l’Europe.


On y fit pour la première fois usage du chemin de fer comme outil de guerre. Cette invention britannique ne datait que de 1830. Mais déjà en 1860, l’Union (le Nord) bénéficiait de 35 420 km de rails et les Confédérés (le Sud), de 13 680 km.

Bien que les largeurs de ces rails n’étaient pas encore standardisées et que les réseaux n’étaient pas toujours reliés entre eux, les stratèges de deux côtés ne mirent pas longtemps à les adapter et à les utiliser pour le transport des soldats, des armes, des munitions, du ravitaillement des troupes et de l’évacuation des blessés. Le transport de l’artillerie lourde suivit rapidement. Le chemin de fer venait d'accélérer profondément la cadence de la guerre.


Devant l’importance du conflit et le nombre important de soldats impliqués, le Congrès américain, sous la présidence d’Abraham Lincoln, adopta un code de conduite dont le nom officiel était : « Code for the Government of Armies in the Field » (code pour la conduite des armées sur le terrain). Ce code fut plus connu sous le nom abrégé de « code Lieber », du nom de Francis Lieber, le juriste, philosophe politique et universitaire germano-américain (1798-1872) qui en a dirigé la rédaction pour le gouvernement.


Puisqu’il a été requis et promulgué en 1863 par le 16e président américain, Abraham Lincoln (1860-1865), je crois que ce dernier aurait mérité qu’on le lui en attribue la paternité. C’est pourquoi je me suis permis d’ajouter son nom et de l’appeler le « code Lieber-Lincoln ».


Francis Lieber qui allait devenir le premier professeur d’histoire et de science politique de la célèbre université Columbia à New York codifia donc, dans un texte de 157 articles, la loi martiale, la juridiction militaire, le traitement des espions, des traîtres et celui des prisonniers de guerre.

Bien que plusieurs de ces mesures étaient déjà appliquées lors des guerres en Europe, c’est la première fois qu’on les regroupait sous cette forme succincte et complète. Et le code comportait également des innovations et précisions bienvenues. En voici quelques extraits particulièrement intéressants :


Dès l’article 1, il est établi que les prisonniers de guerre ne peuvent pas être exécutés, une position conforme à celle qui fut établit plus tard lors de la première convention de Genève.

L’article 4 mérite également notre attention. Elle se lit ainsi: « … L’oppression militaire n’est pas la loi martiale, c’est l’abus de pouvoir conféré par la loi. La loi martiale étant sanctionnée par la force militaire, il appartient à ceux qui l’administrent d’être strictement guidés par les principes de justice, d’honneur et d’humanité. – vertus qui conviennent au soldat plus encore qu’à tout autre homme, pour la raison même qu’il possède la puissance des armes contre des êtres désarmés »


L’article 11 concernant les représailles apporte aussi des nuances importantes. Le texte explique : « Le droit de guerre n’interdit pas seulement toute cruauté ou mauvaise foi concernant les engagements conclus avec l’ennemi durant la guerre, mais aussi la rupture des stipulations contractées solennellement par les belligérants en temps de paix et manifestement destinées à demeurer en vigueur en cas de guerre entre les puissances contractantes. Il interdit toute extorsion ou autre transaction en vue d’intérêts individuels; tout acte de vengeance privé ou complicité dans de tels actes. Les infractions à cette règle seront sévèrement punies, spécialement si elles ont été commises par des officiers. »


À l’article 15 où sont détaillés quantité de gestes de guerre destructrice, le code prend soin de terminer l’article par l’avis suivant :


« … Ceux qui prennent les armes l’un contre l’autre dans une guerre publique ne cessent pas d’être, pour autant, des êtres moraux, responsables vis-à-vis l’un de l’autre et de Dieu. »

L’article 16 poursuit dans la même veine et insiste sur l’importance de ne pas envenimer les possibilités de retour à la paix : « la nécessité militaire n’admet pas la cruauté, c’est-à-dire le fait d’infliger la souffrance pour elle-même ou par vengeance, ni l’acte de blesser ou mutiler si ce n’est en combat, ni la torture pour obtenir des renseignements. Elle n’admet d’aucune manière l’usage du poison ni la dévastation systématique d’une contrée. Elle admet la ruse, mais repousse les actes de perfidie; et, en général, la nécessité militaire ne comprend aucun acte d’hostilité qui accroisse, sans nécessité, les difficultés du retour à la paix. »


Puis le code traite du traitement des citoyens non armés. L’article 22 stipule que: « … le principe a été reconnu, de plus en plus, que le citoyen non armé doit être épargné quant à sa personne, ses biens, son honneur, autant que les exigences de la guerre le permettent. » L’article 23 précise que : « les citoyens privés ne sont plus massacrés, réduits en esclavage, ni emmenés au loin, et l’individu inoffensif est aussi peu troublé dans ses relations privées que le commandement des troupes ennemies peut y consentir, face aux exigences primordiales de mener rigoureusement la guerre. »




L’énoncé de l’article 29 fixe la paix comme objectif primordial: « … la paix est la condition normale, la guerre l’exception. L’ultime objet de toute guerre moderne est le rétablissement de la paix. »

Il est à noter que la protection de la culture et de ses œuvres constitue une nouvelle préoccupation du code. On lit à l’article 35 : « les œuvres d’art classiques, bibliothèques, collections scientifiques ou instruments de prix tels que les télescopes astronomiques doivent être protégés contre toute atteinte pouvant être évitée, même quand ils se trouvent dans des places fortifiées, assiégées ou bombardées. »


L’article 43 quant à lui exclut tout droit à l’esclavage, une innovation pour un pays qui ne l’avait pas encore aboli et qui allait le faire par 3 amendements à la constitution des États-Unis (lettre LA11: les amendements à la constitution).


Puis le code interdit la violence délibérée par l’article 44 en la détaillant ainsi: « … toute destruction de biens non ordonnés par un officier qualifié, tout vol, pillage ou mise à sac, même après la prise d’une place de vive force, tout viol, blessure, mutilation ou mise à mort ou toute autre peine grave proportionnée à la gravité de l’offense. Tout soldat… se livrant à de telles violences… peut légalement être mis à mort sur place par ce supérieur. »


Suivent plusieurs articles concernant les prisonniers de guerre et leur traitement respectueux.




Puis l’article 70 prohibe tout usage du poison : « L’usage du poison, de quelques manières que ce soit, qu’il s’agisse de l’empoisonnement des puits, de la nourriture ou des armes, est absolument exclu, dans les guerres modernes. Quiconque y recourt se place en dehors des lois et usages de la guerre. »

Même les assassinats politiques sont condamnés. L’article 148 stipule que : « Les nations civilisées regardent avec horreur les offres de récompenses pour l’assassinat d’ennemis considérant celles-ci comme rechute dans la barbarie. »


La promulgation de ce code se fit par le président des « États-Unis », Abraham Lincoln, en avril 1863. La guerre de Sécession dura encore 2 ans avant la reddition des États du Sud. Quelques jours après la fin de cette guerre, Abraham Lincoln fut le premier président à mourir assassiné dans un théâtre où il assistait à un spectacle. Cette mort violente priva le pays de celui qui souhaitait une réconciliation aussi paisible que possible entre le Nord et le Sud.


Les pacifistes de cette époque, particulièrement en Europe, avaient pressenti la montée de la violence qu’allait entraîner dans son sillage la révolution industrielle et la panoplie d’armes de destruction de plus en plus massive qu’elle créait. Ils souhaitaient la fin des guerres. Ils échouèrent, mais le code Lieber-Lincoln apportait un guide dont on s’inspira.


Un nommé Henri Dunant, celui qui témoigna de l’horreur pour les blessés de la bataille de Solférino en Italie en 1859 et qui fonda la « Croix-Rouge », parvint de son côté à susciter une réflexion qui allait entraîner la signature de la première convention de Genève en 1864. Cette convention limitait cependant son intervention aux blessés de guerre et sur la façon de les traiter. Elle fut suivie par plusieurs autres ajouts et corrections dans les décennies qui suivirent.


Mais, pour ceux qui estimaient qu’il fallait au moins « humaniser » la guerre, le code Lieber-Lincoln eut une grande influence, dont en particulier le projet de convention internationale lors de la conférence de Bruxelles en 1874, suivi ensuite par la conférence de La Haye de 1897 .


Abraham Lincoln mérite la reconnaissance que lui accorde aujourd’hui la postérité pour l’abolition de l’esclavage aux États-Unis et le maintien de l’Union après la guerre. Mais la moins connue de ces raisons, tout en étant toutefois l’une des plus importantes, fut la promulgation du code Lieber-Lincoln en 1863.


Il contribua à rendre le comportement des humains plus humain, malgré les situations inhumaines des guerres.


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3 Comments


lelab44
lelab44
Feb 27, 2022

Que faut-il comprendre à notre époque pour le Québec, nous ne sommes pas en lendemain d’une guerre meurtrière mais en infériorité numérique en Canada, en supériorité numérique au Québec, au terme peuple dans l’expression attribuée à Abraham Lincoln en 1883 « Le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » ?

J’y comprends que le premier peuple ne désigne pas les Premières-Nations mais les électeur/es actif/es, en particulier les militant/es.

Le deuxième peuple serait constitué principalement des élu/es, de leurs employé/es politiques et parfois des membres des exécutifs de circonscription.


Le troisième peuple désigne à coup sûr la population du territoire électoral.

Se le demander, c’est en écrire.


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robertdutil
robertdutil
Dec 06, 2021

Quelle belle illustration

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cdufour88
Dec 13, 2021
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merci beaucoup :)

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