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Photo du rédacteurRobert Dutil

L’élection surprise

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022

Jean Charest déclenche une élection précipitée en décembre 2008

Aux urnes



Une meilleure situation se produisit pour le dossier des régions ressources par la dissolution du parlement à l’automne 2008 à la demande du premier ministre Jean Charest. Il percevait, dans les sondages, une opportunité de former à nouveau un gouvernement majoritaire. Cette élection précipitée devait se ternir une quarantaine de jours plus tard conformément à la loi, soit le 8 décembre 2008.


Nous avions menacé de présenter des candidats sous la bannière de l’Union du Centre à la première occasion. J’avais toutefois vécu une situation identique en 1988-89 lorsque 4 ministres de notre gouvernement avaient démissionné à la suite de l’utilisation de la clause dérogatoire (mieux connu sous le nom de « Clause Nonobstant ») pour permettre au gouvernement de maintenir sa loi sur l’interdiction de l’affichage en Anglais malgré le jugement que venait de rendre la Cour suprême du Canada.


À la suite de ce geste, des citoyens de la communauté anglophone décidèrent de fonder le « Parti égalité/Equality Party ». Ils présentèrent 19 candidats à l’élection de 1989 et en n’en firent élire que 4. Ils avaient obtenu seulement 125,726 votes parmi près de 1 million d’électeurs anglophones.


Cet exemple montre que faire changer les citoyens d’allégeance politique est très difficile, même avec la meilleure des causes.

Cette expérience me trottait dans la tête. Notre dossier touchait directement les propriétaires d’entreprise, mais, parmi les citoyens, seuls ceux qui avaient perdu leur emploi étaient touchés. Un nombre malgré tout relativement restreint d’insatisfaits. Il fallait pourtant établir d’urgence notre stratégie.


Entre-temps, je reçus un appel de mon frère Marcel. Jean Charest l’avait consulté pour trouver un candidat susceptible de reprendre Beauce-Sud à l’ADQ. Des approches avaient été faites auprès du député d’alors, Claude Morin, pour qu’il change d’allégeance et devienne candidat libéral. Il avait finalement décidé de rester fidèle à l’ADQ en se fiant à son chef Mario Dumont pour régler la question des subventions aux régions ressources après l’élection. Sa décision tardive nous mettait au pied du mur, car nous ne partagions pas la même confiance que lui envers le chef de l’ADQ sur cette question.


Il faut rappeler qu’à l’élection de 2007, Marcel Dutil s’était montré assez critique du gouvernement Charest et avait décidé d’appuyer officiellement l’ADQ et même de participer officiellement et activement à sa campagne de financement. Mais des tensions ne manquèrent pas de se produire rapidement entre l’ADQ et mon frère; et évidemment l’un de ces différends concernait le dossier des subventions aux entreprises des régions ressources. Quant à moi, à cette même élection de 2007, j’avais maintenu ma confiance aux libéraux et à Jean Charest, estimant que les politiques de L’ADQ étaient trop à droite sur l’échiquier politique. Le premier ministre avait apprécié.


Je trouvais très habile de la part de Jean Charest de se rapprocher à nouveau de Marcel et de le consulter. Avait-il prévu la suite?


La seule alliance possible pour notre groupe dissident ne pouvait être qu’avec les libéraux. Et poursuivre notre dossier avec l’Union du centre pouvait être considéré comme courageux, mais serait suicidaire.

Les seuls votes que nous pouvions obtenir seraient des votes libéraux, les affaiblissant ainsi sans pour autant nous permettre d’en recueillir suffisamment pour faire élire ne fût qu’un seul député. La meilleure façon d’avancer était de proposer de devenir moi-même ce candidat pour le Parti libéral dans Beauce-Sud. J’étais sûr que le Parti libéral avait sondé le terrain sur les candidats possibles et que j’étais l’un de ceux-là. Si j’avais encore un certain niveau de notoriété, ils accepteraient ma candidature, sinon, il la rejetterait tout simplement. Marcel en fit part à Jean Charest qui demanda à me rencontrer dès que possible. Je travaillais à nos bureaux de Boucherville ce jour-là. Il était donc facile de prendre rendez-vous dès le lendemain matin.


Jean Charest semblait dans une forme resplendissante. Notre rencontre se déroula de façon cordiale. Il souhaitait clairement que je me porte candidat. Mais le premier ministre voulait tout d’abord s’assurer que, si je gagnais l‘élection, il pourrait compter sur un député solidaire avec le gouvernement. Je l’en assurai. Tout ce que je demandais était de pouvoir intervenir à l’interne dans le dossier des régions ressources en vue de trouver une solution gagnant-gagnant. Il accepta. Il annonça ma candidature le jour même. Je supposai donc qu’il avait déjà fait sonder les électeurs de Beauce-Sud.


J’appris qu’entre-temps l’exécutif du parti dans le comté de Beauce-Sud avait sélectionné son candidat en cas d’élection précipitée. Je le contactai en m’excusant. J’aurais dû connaître cette information, mais je n’habitais pas le comté à ce moment-là et ne militait pas activement pour le parti. Il ne s’en formalisa pas, bien qu’il déplorât la manière dont les choses s’étaient passées; et il m’apporta son appui au cours de la campagne électorale.


Ce fut la campagne la plus difficile de ma carrière. Le député adéquiste, Claude Morin avait été élu en 2007 avec plus de 9000 voix de majorité, et avait été très actif dans le comté au cours des 18 mois de son mandat. Renverser une telle majorité paraissait un défi insurmontable pour quelque candidat que ce soit. Il est vrai que j’avais déjà été député de ce comté, mais ma dernière élection remontait à 1989, 19 ans plus tôt. Et mon mandat s’était terminé en 1994, 14 ans plus tôt.


Nous allions malgré tout livrer bataille. Une victoire pourrait permettre de régler cette épineuse question, alors qu’une défaite allait tout simplement entraîner mon retrait complet de ce dossier.

On réunit les partisans beaucerons dont certains se montraient mécontents de cette candidature imposée. Mais la seule chance de l’emporter était d’unir toutes nos forces. Je les ralliai finalement à mon choix comme candidat. On mit clairement sur la table les enjeux et les difficultés, puis nous nous engageâmes à fond de train dans une course de 36 jours ininterrompue matin, midi et soir à organiser, à rencontrer, à discourir, à argumenter sur les raisons de ce retour, à expliquer que nous devions modifier cette politique de subventions en trouvant une nouvelle formule gagnant-gagnant que nous n’avions cependant pas encore identifiée. L’une des difficultés tenait au fait qu’on ne pouvait pas en prêcher l’abolition pure et simple, puisque nous avions aussi des candidats de toutes les régions dans nos propres rangs, y compris dans les régions ressources.


Au départ, les sondages publics me donnaient largement perdant, bien que nos sondages internes étaient plus encourageants. La lutte se resserra au fur et à mesure que la campagne avançait. À la fin de cette période intensive, nous étions nez à nez. L’équipe et moi étions exténués le soir des résultats où je finis par l’emporter à l’arraché par seulement 600 voix, majorité que j’attribuai à notre acharnement habituel à bien organiser et faire sortir le vote de nos partisans.


Dans la région Chaudière-Appalaches, nous étions passés d’un seul député à 6 sur 8 comtés. Dans la province, le parti libéral obtient de justesse la majorité absolue de 64 députés (avec 66 députés), 16 de plus qu’à l’élection précédente. L’ADQ s’était effondrée en ne faisant élire que 7 députés et le PQ redevint l’opposition officielle avec 51 députés. Québec Solidaire conserva le comté de Mercier déjà occupé par Amir Khadir.


Cette première étape avait donc été franchie avec succès pour les libéraux. L’élection fut rapidement suivie par l’habituelle rencontre post-électorale de tous les candidates et candidats du parti, puis du caucus des élus. Chaque parti procède de cette façon, soit pour remercier ses troupes ou panser ses blessures. L'événement suivant est l’assermentation des députés. Le climat ne pouvait être plus serein. Il ne restait que quelques députés d’avant 1994, mais j’en connaissais plusieurs autres rencontrés aux réunions occasionnelles des instances du parti auxquelles, comme membre de Beauce-Sud, j’avais assisté occasionnellement avant nos frictions sur les régions ressources. J’y eus d’agréables conversations. Beaucoup d’entre eux appréciaient mon retour au bercail qui avait contribué à notre victoire-surprise.


Les frictions internes ne reprirent comme d’habitude que lors de l’assermentation des ministres. Le premier ministre devait choisir un nombre restreint de députés élus pour accéder à ce conseil exécutif. Il est impossible d’y arriver sans décevoir les légitimes ambitions de plusieurs d’entre elles et d’entre eux qui possédaient toutes les qualités, la formation et l’expérience requises pour occuper l’un de ces postes.


Je fus choisi pour occuper le poste de ministre du Revenu. Dans le passé, ce rôle était souvent confié directement au ministre des Finances. Il est l’un des plus administratifs de l’État et n’est pas considéré ni comme prestigieux, ni comme important. Mon retour au conseil des ministres fut néanmoins mal reçu de la part de députés plus fidèles qui digéraient mal qu’un opposant récent obtienne cette promotion. Selon eux, j’aurais dû être mis à l’écart. Mais mon retour au parti avait contribué à obtenir une courte majorité absolue aux libéraux. De plus, je m’étais engagé à trouver une solution gagnant-gagnant à l’imbroglio qu’avait créé l’octroi de subventions aux entreprises concurrentes. Enfin, le premier ministre souhaitait sans doute maintenir un climat serein avec Marcel Dutil, un des membres importants du Québec-Inc. qui l’avait délaissé, après 2003, pour l’ADQ et qu’il récupérait maintenant.


Le premier conseil des ministres fut très serein. Avant de débuter cette rencontre, le premier ministre nous laissa le temps de nous serrer la main. Je fis le tour. Ma rencontre avec la ministre de finances, Mme Monique Jérôme-Forget se passa cordialement. Je me devais de la saluer le premier, ce que je fis. Je mentionnai que j’étais heureux que nous puissions dorénavant travailler en harmonie.


En politicienne aguerrie, elle dit qu’elle appréciait également mon retour. La hache de guerre était définitivement enterrée. Rien de mieux qu’une bonne victoire pour signer la paix.

Chacun prit bientôt la place qui lui avait été assignée à la table du conseil des ministres. L’ordre établi est un mélange d’ancienneté, de responsabilités et de choix du premier ministre. Celui-ci était entouré de sa ministre des finances, Mme Jérôme Forget, et de son ministre de l’économie Raymond Bachand; en face de lui, Jacques Dupuis, leader, ministre de la Justice et de la Sécurité publique; juste à sa droite, Claude Béchard, ministre multifonction et considéré par plusieurs comme le dauphin du premier ministre, c’est-à-dire le remplaçant éventuel à la chefferie du parti grâce à l’estime qu’il lui portait et également bien sûr grâce à son jeune âge.


On ouvrit notre lourd cahier de dossiers et l’ordre du jour prévu s’enclencha. Ces présentations n’entraînent en général que peu de discussion, car, avant de parvenir au conseil des ministres, chaque sujet a été étudié en profondeur par les divers comités ministériels et présenté au caucus des députés libéraux. Le conseil des ministres ronronne. C’est à l’extérieur de ces murs que gronde le tonnerre.


C’est ainsi que 15 ans après mon départ du gouvernement Bourassa, je renouais avec les hautes instances au gouvernement sous celui de Jean Charest. C’est à ce moment que je pris véritablement conscience de l’utilité de l’expérience acquise depuis tout ce temps.



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