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Photo du rédacteurRobert Dutil

L’aide médicale à mourir

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022

L’autonomie du patient et la société

Pauline Marois, première ministre du Québec




À l’automne 2009, le Collège des médecins du Québec produisit un document où il affirmait qu’en des circonstances exceptionnelles, « l’euthanasie » pourrait être une étape ultime dans le continuum des soins appropriés de fin de vie.


Une affirmation qui en surprit plusieurs. En ce temps-là, quelques rares pays avaient légiféré sur ce sujet, plus particulièrement la Belgique et les Pays-Bas.


Quelque temps plus tard, la cheffe de l’opposition, Pauline Marois, sensibilisa le premier ministre Jean Charest à cette importante question et suggéra de l’étudier dans un forum non partisan. Le premier ministre y était favorable et le recommanda à notre caucus qui se montra très réceptif à l’idée. Presque tous les députés avaient vécu des situations difficiles lors de l’agonie d’un proche ou d’un ami.


D’un commun accord, on décida donc de créer un groupe de consultation et de travail de neuf députés sur le sujet. Il fut mis en place début 2010. Le choix des membres fit consensus à l’Assemblée nationale. On ne nomma évidemment pas, en général, les plus belliqueux d’entre nous. Le libéral Geoffrey Kelly en devint le président, remplacé plus tard, lorsqu’il accéda au Conseil des ministres, par la députée Maryse Gaudreault; le Parti québécois fut représenté par la péquiste Véronique Hivon; la CAQ par Benoît Charrette et, parmi les autres membres, il y eut le médecin et député Amir Khadir de Québec solidaire, personnage plus controversé, mais pour ceux qui, comme moi, discutaient fréquemment avec lui, un interlocuteur des plus intéressant.


Les travaux de cette commission débutèrent rapidement. Le choix des mots eux-mêmes soulevait parfois de vifs débats. En particulier, celui « d’euthanasie ».


Bien qu’il signifie « mort douce qu’elle soit naturelle ou provoquée », l’expérience nazie en Allemagne, entre 1938 et 1945, l’avait imprégné d’une connotation « meurtrière ».

Sous Hitler en effet, l’Allemagne avait décidé de procéder à l’élimination des Allemands jugés inutiles à la société. Handicapés physiques ou mentaux, malades incurables, et autres, environ 250 000 personnes, furent donc tuées malgré une opposition grandissante des citoyens allemands eux-mêmes pour que leur propre gouvernement cesse ces assassinats. Bien que la fin de la guerre y mît fin, le mot « euthanasie » garda ce sens péjoratif.


Au fur et à mesure que le débat de la commission québécoise avançait, on remplaça donc ce mot par l’expression « l’aide médicale à mourir » et on la relia constamment à la nécessité du consentement « libre et éclairé » de ceux qui désiraient s’en prévaloir.

Mentionnons que le suicide avait été dépénalisé au Canada en 1972; toutefois, les religions, en particulier l’Église catholique, le considérèrent encore longtemps comme un péché mortel; les conséquences étant, selon ses dogmes, que le suicidé brûlerait dans les feux de l’enfer pour l’éternité et que ses restes terrestres ne pourraient jamais reposer en terre consacrée. (Nous donnons ici l’exemple de l’Église catholique, car ses dogmes sont décidés par une organisation centralisée dirigée à Rome par son principal dirigeant, le Pape, pour l’ensemble de ses quelque 2 milliards de fidèles. La multiplicité des autres Églises chrétiennes ne présente pas ce front commun.)


Il fallut d’ailleurs attendre 1994 pour que les patients puissent librement décider eux-mêmes du refus ou de l’arrêt des traitements médicaux et ainsi pouvoir légalement éviter l’acharnement thérapeutique que pratiquaient nombre de médecins, faute de cette clarification.


La commission procéda à une large consultation, reçut de nombreux mémoires, fit des missions d’études dans des pays qui avaient étudié ces questions. Il y eut , de plus, la présentation en commission parlementaire, d’experts en médecine, droit, philosophie, éthique, sociologie et psychologie. (32 experts, 3 200 exemplaires du document de consultation, 273 mémoires, 51 séances de travail de la commission).



Le rapport final fit part tout d’abord de ses constatations dont les plus importantes sont les suivantes : « Les progrès remarquables de la médecine et de la pharmacologie ont contribué à allonger l’espérance de vie, au prix, parfois, de la qualité de vie ».

Ces constats ont amené une série de décisions qui ont permis graduellement de remplacer « le paternalisme des médecins par la reconnaissance de l’autonomie du patient. » « L’autonomie du patient est devenue un principe fondamental de l’éthique médicale. »


Les membres de la commission mentionnent clairement qu’ils choisirent comme seul guide, « le bien-être et le respect de la personne humaine dans toute la complexité de sa vie, de sa fin de vie et de sa mort. » Plusieurs malades vivent en effet avec « un sentiment d’inutilité sociale et l’impression d’être un fardeau pour leurs proches. En plus, il y a la souffrance existentielle. »


Évidemment, tout au cours du déroulement de la commission, le caucus libéral, et il devait en être de même des autres caucus, se tenait au courant de l’avancée des débats. Et les exemples de situations inacceptables faisaient l’objet de discussions de couloirs. Ainsi, celle d’une patiente atteinte d’un diabète si avancé qu’on avait commencé à lui amputer des parties de membres, et à qui on allait devoir bientôt effectuer d’autres mutilations pour éviter la gangrène.; elle estimait que cette situation portait gravement atteinte à sa dignité. Elle voulait donc mourir; mais fervente croyante catholique, elle ne voulait pas affronter l’interdiction du suicide de son Église.


Le prêtre avec qui elle en discuta lui fit mention qu’elle pouvait toutefois arrêter de s’alimenter sans commettre de péché, ce qui inévitablement allait tôt ou tard entraîner sa mort. Rassurée à partir de ce moment, et après en avoir avisé ses enfants attristés mais compréhensifs, elle n’ingurgita plus que de l’eau et mourut bientôt … de faim.


On constata que les principales objections à l’aide médicale à mourir étaient donc d’ordre religieux et éthiques. De nombreux témoins plaidèrent en ce sens : « Provoquer la mort d’une personne… est un geste qui remet en question le caractère sacré de la vie humaine, héritage de nos traditions religieuses. » « Le respect de la vie est une valeur fondamentale… » « Le respect de la vie doit être absolu… avec préséance sur toutes les autres valeurs, comme l’autonomie de la personne. »


Toutefois, la commission déclara dans son rapport final que « Dans un état laïque comme le nôtre, les croyances de certains ne sauraient servir de base à l’élaboration d’une législation applicable à tous. »

La plupart des députés adhéraient clairement à cette position.


Néanmoins plusieurs de mes collègues, et moi-même, nous inquiétions de dérives possibles. « Ainsi le droit de mourir pourrait se muer insidieusement en un devoir de mourir ». On nommait ce concept « la pente glissante ». Une dérive lente, insidieuse vers des pratiques de plus en plus permissives, de plus en plus reliées à la croissance exponentielle des coûts de la santé, de plus en plus déshumanisantes.


L’histoire des sociétés humaines nous démontre en effet que, malheureusement, ce que nous appelons aujourd’hui les droits de la personne n’ont pas fait l’objet d’un grand respect à plusieurs moments dans le passé, ni par les populations, ni par leurs dirigeants. Et l’expérience nazie d’euthanasie décrite ci-dessus, dans un pays moderne et développé du 20e siècle, doit maintenir éveillée notre conscience sur des abus potentiels.


La commission se montrait plus optimiste. Elle avait « La conviction qu’il est possible d’éliminer ces risques par des balises claires et strictes. »


Elle basa donc ses recommandations sur 3 grands principes:
Situer l'aide médicale à mourir à l'intérieur d'un continuum de fin de vie;
Associer l’aide médicale à mourir au soulagement des souffrances;
Assurer le respect de l’autonomie de la personne.

Et elle recommanda de prévoir qui peut demander cette aide :


« Les personnes majeures qui le demandent elles-mêmes. Elles doivent être affectées d’une maladie grave et incurable, ou subir une déchéance avancée, sans perspective d’amélioration. Elles sont victimes de souffrances physiques ou psychologiques constantes. »


Le travail de la commission terminé, un projet de loi pour la mettre en vigueur fut présenté à l’Assemblée nationale. Il reflétait bien l’impressionnant travail accompli. Le cheminement depuis l’adoption de principe contre lequel j’avais voté à ce moment-là, comme plus d’une vingtaine de députés, en faisait un projet beaucoup plus prudent et acceptable étant donné la gravité du sujet. J’intervins lors de cette adoption finale pendant tout le temps dont je disposais, soit 20 minutes, en y apportant les nuances que je jugeais appropriées. Malgré tous les aspects positifs toutefois, la crainte de « la pente glissante » m’amena tout de même, à la toute fin, à voter à nouveau contre, puisque lors d’un vote, on ne peut apporter les nuances que permettent les discours. Il faut voter pour ou contre. Comme prévu, le décompte confirma l’appui de la grande majorité des députés au projet.


Plusieurs années d’application se sont écoulées depuis. Les balises et les mécanismes clairs et stricts mis en place ont confirmé que son application n’avait pas entraîné d’abus. Je crois que le Parlement du Québec a bien accompli le travail pour lequel les citoyens élisent les députés.

La science évolue, les mentalités évoluent, la société évolue. Dans une démocratie, le rôle d’un Parlement est à la fois d’accompagner avec prudence ces changements, à la fois d’enrichir les réflexions qui y sont faites, à la fois d’aider les citoyens à évoluer dans des débats parfois difficiles, mais nécessaires.

Tel fut le cas de cette importante commission. Elle a contribué à l’évolution du Québec et à ma propre évolution : si nous reprenions ce vote final aujourd’hui, 12 ans plus tard, cette fois-ci, j’appuierais le projet.


Trois points ressortent d'ailleurs encore aujourd'hui. La question de la mort imminente qui est très critiquée comme critère d'autorisation dans des cas particuliers, surtout lorsque le malade n'a plus aucune autonomie physique; et celle de la souffrance intolérable qu'aucune médication ne parvient à soulager.


Enfin, celle du consentement préalable. Actuellement une personne affectée par une maladie dégénérative, qui la privera éventuellement de ses capacités intellectuelles, ne peut pas donner son consentement préalable par écrit pour que, le moment venu, sa volonté d'obtenir l'aide médicale à mourir lui soit administrée.


Les tribunaux sont intervenus dans ce genre de cause à la demande de citoyens vivant de telles situations et leur ont donné raison de réclamer ces changements. Les parlementaires doivent donc poursuivre leur travail.



Prochaine lettre: Terrorisme nucléaire

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3件のコメント


lelab44
lelab44
2022年3月14日

C’était avant 2009, son époux était décédé le 11 janvier 2000 à proche 92; passée de la résidence familiale à l'hôpital à l'occasion vue sa condition, elle avait cessé de manger pendant quelques jours et ça avait fait le travail.

« Les parlementaires doivent poursuivre ce travail. »

Pour améliorer la légitimité des parlementaires sur cette question et sur une multitude d’autres en manque, je dirais que changer notre mode de scrutin, voire notre système électoral, voire nos fondations démocratiques, est plus urgent que « la poursuite de ce travail ».


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André Morin
André Morin
2022年3月14日

Bravo pour le rappel de cette étape. Effectivement, il y a encore des éléments à revoir.

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robertdutil
robertdutil
2022年3月14日
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Merci

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