top of page
Photo du rédacteurRobert Dutil

L'UPAC

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022

La lutte à la corruption en priorité

Guy Ouellette, député de Chomedey, président de la commission des institutions


De nombreux changements sont survenus au cours de l’été 2010 de la Justice, de la Sécurité publique et le leader du gouvernement. Le premier ministre dut procéder à un remaniement de son cabinet. J’y fus convoqué avec la discrétion habituelle que requierent ces discussions.


Le premier ministre, accompagné par son chef de cabinet, ne lésina pas sur les préambules. Il m’annonça que j’allais occuper le poste de ministre de la Sécurité publique. Ce choix m’étonna.

J’avais la réputation, bien fondée je crois, d’être très performant dans les postes plus administratifs et je m’attendais à une fonction du même genre. Mais la sécurité publique est un ministère très visible sur lequel l’actualité pèse lourd. Il est constamment dans la mire de la presse qui souhaite régulièrement obtenir des déclarations à chaud du ministre sur les sujets brûlants. Les mauvaises nouvelles, on le sait, attirent davantage l’attention que les bonnes. Et ce ministère était l’endroit principal où convergeaient tous les malheurs du Québec. Un contraste total par rapport au ministère du Revenu.


Pour expliquer cette décision, le premier ministre me dit qu’il souhaitait un ministre « avec des cheveux gris » et qui savait « faire face à la musique ». Pour lui, alors que nous traversions une période d’attaques nourries sur les allégations de favoritisme lié au financement du Parti libéral, ma longue expérience au gouvernement représentait un atout important, me dit-il en substance. Il ajouta que mon passage de 10 ans comme élu municipal avait également pesé dans sa décision.


Je le remerciai de sa confiance et repris le chemin du retour, tout aussi discrètement qu’à l’arrivée, mais le cerveau en ébullition. Il fallait maintenant réorganiser mon travail du tout au tout.


Tout d’abord, je convoquai mon cabinet politique et les hauts fonctionnaires du ministère du Revenu à une réunion immédiate pour leur annoncer mon départ imminent et les remercier de leur travail au cours de mon mandat. Je savais d’expérience que, dans ces circonstances, la coupure est immédiate et totale.

Le premier ministre avait décidé de ne pas nommer un nouveau député au cabinet pour me remplacer.


Raymond Bachand, ministre des Finances allait devoir ajouter cette tâche à son travail. Je lui proposai donc une rencontre.

Bien qu’il eût peu à apprendre de moi sur les dossiers eux-mêmes, j’avais déjà soigneusement identifié plusieurs points qui, à mon avis, devraient être suivi de plus près. Je les lui transmis, de même que mes opinions verbales sur l’ensemble de l’organisation. Notre relation s’était solidifiée lors de la résolution du dossier des régions ressources un an plus tôt. Il apprécia.


L’assermentation eut lieu rapidement après l’annonce du remaniement. Dès ce moment, je demandai une rencontre avec Jacques Dupuis, maintenant ex-ministre et ex-député, pour le premier breffage, avant même celui avec les fonctionnaires. Ce fut une longue et bonne rencontre.


Elle fut particulièrement utile ultérieurement pour le dossier connu maintenant comme celui de « l’UPAC ».

Et, comme d’habitude, pour parfaire ma préparation, il me fallut lire une masse de documents et passer plusieurs heures de discussion avec le sous-ministre et les hauts fonctionnaires responsables des divers dossiers.


Les ministres déjà en place amènent souvent avec eux des membres de leur cabinet politique lors de ces remaniements. Isabelle Lessard avait commencé à travailler avec moi en politique dès 1985. Évidemment, cette collaboration s’était arrêtée après mon départ en 1995; mais elle m’avait proposé de revenir 13 ans plus tard, en 2008, lorsque je décidai de me présenter à nouveau. Après cette élection, elle devint chef de cabinet au ministère du Revenu. J’avais la plus entière confiance en elle. Et en cet été 2010, je lui demandai effectivement d’occuper le même poste, mais à la sécurité publique.


Isabelle présentait un atout majeur grâce à sa connaissance approfondie de la machine bureaucratique et du personnel de tous les cabinets politiques. Dès l’assermentation, elle s’affaira donc à sélectionner et embaucher l’équipe du cabinet. Quelques jours plus tard, tout était en place pour que nous nous mettions en marche de façon efficace.


Le soleil d’été brillait plein feu, mais les vacances devraient attendre, car les évènements tragiques, eux, n’attendaient pas. Ils se succédaient sans interruption. Les fonctionnaires attitrés à ces dossiers préparaient des notes qu’ils présentaient à ma directrice du cabinet et à l’attaché politique nommé pour traiter ces sujets, puis on décidait en groupe restreint si je devais intervenir publiquement et, si oui, de quelle façon.


La session parlementaire allait ouvrir en octobre. Bien sûr, un dossier dominait tous les autres: les attaques sur les allégations de financement illégales du Parti libéral et sur l’octroi de contrats gouvernementaux que l’on disait reliés à ce financement.


Mon prédécesseur avait entrepris une démarche avec la ville de New York qui était aux prises avec des problèmes similaires et avait adopté avec succès des mesures pour contrer ces abus. Je décidai de pousser plus avant cette piste fort intéressante. La commissaire de la ville de New York nous apporta son entière collaboration. Nous la rencontrâmes à son bureau de New York. Elle nous rendit visite plus tard à Québec. Les échanges se poursuivirent entre leurs fonctionnaires et les nôtres. Et c’est ainsi que l’on passa en quatrième vitesse pour faire avancer ce dossier.


L’autre solution, celle réclamée par l’opposition, était la création d’une commission d’enquête publique pour étudier cette situation et faire des recommandations. Mon raisonnement dès le départ m’amenait à favoriser la création d’un organisme permanent. De même que l’on ne peut pas envisager de diminuer les excès de vitesse sur les routes sans une surveillance permanente, on n’obtient que des résultats temporaires en effectuant des études ponctuelles. Pendant la période de surveillance la vitesse diminue, mais dès l’abandon de la surveillance, les mauvaises habitudes reviennent au galop. De plus une commission d’enquête ne permettait pas de sanctionner les fautifs puisqu’il ne s’agit pas d’un procès.


Je réussis finalement à convaincre le premier ministre et le Conseil des ministres du bien fondé de la création d’un organisme permanent et on mit en marche la rédaction d’un projet de loi en ce sens.

Des objections valables fusèrent, surtout de la part des avocats du gouvernement. Elles concernaient des problèmes importants. L’approche coercitive allait-elle transformer le Québec en État policier? Les pouvoirs dont seraient dotés un tel organisme allaient-ils trop loin? Les discussions nous permirent lentement de trouver une voie de passage entre la prévention, la répression du crime et la protection des droits et libertés des citoyens.


Entre-temps, sous la pression publique, accepta l’idée d’une commission d’enquête, connue par la suite sous le nom de la Commission Charbonneau.


Le projet de loi sur l’UPAC qui cheminait en parallèle fut finalement entériné à l’interne par le Conseil des ministres et le caucus des députés libéraux, déposé dès l’automne 2010 à l’Assemblée nationale et reçut un accueil que je qualifierais de favorable de la part de l’opposition, bien qu’elle mentionnât d’importantes réserves. La première étape qu’un projet de loi doit franchir l’adoption de principe au salon bleu, se passa bien.


Toutefois, l’étude article par article qui suivit en commission parlementaire débuta plutôt mal. J’avais perçu, à tort comme je le constatai bientôt, que le député du Parti québécois, Stéphane Bergeron, ne voulait pas collaborer à son adoption. Je le connaissais depuis mon élection en décembre 2008 et je l’estimais beaucoup. Comme opposant, il avait une forte prestance. Il avait été député fédéral à Ottawa pour le Bloc québécois de 1993 à 2005 et était député du Parti québécois à Québec depuis 2005.


J’étais donc surpris par son attitude. Voyant mon scepticisme, il me regarda droit dans les yeux et me dit clairement que je me trompais, que son parti était favorable à ce projet de loi, qu’il allait bien sûr en critiquer ce qu’il estimait en être les faiblesses, mais qu’il collaborerait à ce que le projet avance. Son ton clair et direct m’avait convaincu de lui faire confiance. Le projet suivit effectivement son cours sereinement. Il fut adopté à l’unanimité en commission et par la suite, obtint l’unanimité à la chambre pour son adoption finale, la troisième et dernière étape. Un commissaire fut choisi et l’organisme se mit en place.


Tout ce processus se déroulait alors que les pires inondations que l’on ait vues depuis des années affectaient d’abord la Gaspésie, puis la rivière Richelieu. On dut même faire appel à l’armée pour nous aider à affronter cette catastrophe.

Le temps passa. L’UPAC fut très critiquée pour sa lenteur à obtenir des résultats concrets. Il n’y avait là pourtant rien de bien étonnant. Avant de déposer des accusations quelles qu’elles soient, les enquêteurs devaient trouver les preuves hors de tout doute raisonnable. Et évidemment recueillir ces preuves exigeait temps et patience.


Entre-temps, la commission Charbonneau s’était mise en place. C’est cette commission qui retenait l’attention des médias et du public, bien davantage que la mise en place de l’UPAC. Mais les premiers résultats concrets finirent par apparaître et ébranlèrent plus particulièrement le milieu municipal. Les grosses villes furent en première ligne de tir. On vit finalement des perquisitions, puis des accusations dans plusieurs d’entre elles. Les principales accusations concernaient les malversations dans l’octroi de contrat et les pots-de-vin en faveur d’élus ou de fonctionnaires. Quelques maires écopèrent. Ils n’étaient donc plus intouchables depuis l’instauration de ce nouvel organisme.


La corruption est un mal sournois. Elle se glisse dans les moindres interstices. La combattre exige effectivement une vigilance permanente.

Le véritable avantage de cette surveillance concerne le futur : les délinquants évitent de commettre des crimes pour lesquels les risques d’être sévèrement punis sont élevés.


Quant au passé, à la grande déception des citoyens, il n’est pas toujours facile de sévir contre les fautifs. Les évènements qui suivirent le confirmèrent. D’autant plus que, malheureusement, l’UPAC outrepassa parfois ses pouvoirs et fut débouté à plusieurs reprises par les tribunaux. Ou elle excéda les délais considérés comme raisonnables par l’arrêt Jordan, ce qui eut pour effet d’annuler certaines poursuites.


Aucune loi n’est parfaite. Je regrettais en particulier l’une des dispositions de la loi sur l’UPAC qui autorisait le commissaire à être nommé pour un second mandat. Il n’est pas sain qu’un commissaire soit en poste lors de la période de son propre renouvellement. Nous avions hésité en commission sur l’octroi d’un mandat plus long, mais unique et non renouvelable. Nous avions opté à tort pour le mandat de 5 ans renouvelable. Et le renouvellement ne se passa pas bien.


Le gouvernement libéral Couillard a depuis modifié la loi en février 1018 en fixant pour ce commissaire un mandat unique de 7 années.

Une autre disposition que nous avions rejetée au gouvernement, malgré ma recommandation, était la nomination du commissaire au 2/3 des membres de l’Assemblée nationale. Des ministres, à la majorité, plaidaient qu’il s’agissait d’une décision du pouvoir exécutif et non du pouvoir législatif, ce qui était un argument tout à fait défendable, mais politiquement critiquable. D’autant plus que dans notre système politique, la frontière entre l’exécutif et le législatif est loin d’être étanche, puisque la tradition veut que tous les ministres soient des députés élus, donc à la fois membre de l’exécutif et du législatif.


Pour ma part, je craignais surtout que cela donne l’impression d’un contrôle du Conseil des ministres sur le bras agissant du système de justice qu’était l’UPAC. L’indépendance du pouvoir judiciaire est aussi cruciale pour le maintien d’une société libre que la séparation exécutif-législatif.


Le gouvernement de la CAQ a adopté la règle des 2/3 des membres de l’Assemblée nationale pour le choix du commissaire en mai 2019.

Quoiqu’il en soit, l’objectif principal avait été atteint. Il y aurait une surveillance permanente sur la corruption dans l’octroi des contrats publics. Je ne soupçonnais pas alors l’importance des conflits internes qui affectaient l’organisme. Mais j’avais assez vécu pour savoir que toutes les organisations humaines en sont victimes, mais celles de l’UPAC furent d’une ampleur étonnante. Est-ce que cet organisme survivra à ces querelles et pourra rétablir sa crédibilité? Je le souhaite. Je le crois.


En parallèle, la commission Charbonneau termina son travail et présenta ses recommandations. Plusieurs d’entre elles furent rapidement adoptées. Quant aux derniers ajustements à faire à la loi sur le financement des partis politiques, elle dû attendre pour se concrétiser, à ma grande déception, que le gouvernement péquiste élu en septembre 2012 reprenne le flambeau.


Quant aux nombreux autres dossiers à traiter dans ce ministère, j’y mis toute mon ardeur, d’autant plus que nous vivions une période de grande effervescence dans le monde des communications.


Par exemple, les centrales de télésurveillance 911 où auparavant il était important que les opérateurs connaissent le territoire, bénéficièrent bientôt d’un plan précis GPS en instantané sur leur écran. Ça permettait de localiser précisément les appels, améliorant ainsi considérablement la rapidité et l’exactitude des interventions.


Je me faisais un devoir d’investiguer et, si possible, mettre en place les mesures requises pour suivre la parade. Au-delà l’adoption de lois très visibles sur le plan médiatique, il y a toutes les autres dispositions moins visibles, mais nécessaires au bon fonctionnement d’une société en évolution constante. Et j’étais toujours aussi pressé pour la raison expliquée dans une autre lettre : la durée de vie d’un ministre ne dépasse pas en moyenne 2 ans.


Je fus ministre de la Sécurité publique pendant 26 mois. Je fus réélu de justesse en 2012, mais, bien que minoritaire, c’est le Parti québécois qui prit le pouvoir. Je gagnai alors les banquettes de l’opposition pour la première fois de ma carrière. Ce fut toutefois une expérience beaucoup plus intéressante que je ne l’avais imaginé jusque-là.



Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page