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Photo du rédacteurRobert Dutil

La fin de la présidence Trump

Dernière mise à jour : 6 juin 2022

L’aigle blessé

Donald Trump, président 2016-2020



Lors de l’élection présidentielle des États-Unis d’Amérique à l’automne 2020, les démocrates de Joe Biden ont clairement remporté la victoire contre le président sortant Donald Trump, à la fois au vote populaire (Biden 81 millions de voix contre Trump 74 millions de voix, une différence de 7 millions) et au nombre de grands électeurs (306 démocrates contre 232 républicains).

Le nombre des grands électeurs de chaque État est à peu près proportionnel à la population de cet État dans l’ensemble des États-Unis.


Rappelons que la Constitution des États-Unis de 1789 prévoit que le président est choisi par les grands électeurs et non par la majorité obtenue lors du vote populaire. Et, plus important encore, rappelons que tous les grands électeurs d’un État vont habituellement au candidat présidentiel qui a obtenu le plus de voix au vote populaire dans cet État. (2 États, le Nebraska et le Maine, ont choisi une alternative permise par la constitution, qui permet de faire ce choix par district. Mais le nombre total de grands électeurs de ces États peu populeux influence très peu le résultat global final).


Par exemple, tous les 55 grands électeurs choisis en Californie proviennent de la liste du Parti démocrate, car dans cet État, la majorité des électeurs a voté démocrate. Et ils sont tenus de voter pour le candidat démocrate lors du vote tenu au collège électoral environ 6 semaines après le jour de l’élection du 3 novembre. Dans ce cas-ci, ce vote a eu lieu le lundi 14 décembre 2020 et a confirmé le résultat de 306 grands électeurs aux démocrates et 232 grands électeurs aux républicains.


Malgré cette défaite claire, le président sortant, Donald Trump, a prétendu et prétend toujours que ces élections étaient frauduleuses et qu’il en est le vainqueur. Voici les arguments supportant sa supposée victoire : Donald Trump conteste les résultats dans 5 États clés où les républicains ont en effet été défaits par de très faibles majorités: Arizona (11 000 voix); Géorgie (12 000 voix); Wisconsin (19 500 voix); Pennsylvanie (88 000 voix) et Michigan (15 000 voix). Il écarte toutefois les États où le résultat a aussi été très serré, mais favorable aux républicains. Il s’agit ici de la plus grande faiblesse de son argumentation.


Puisque les grands électeurs de chacun de ces États sont tenus de voter pour le candidat du Parti qui a obtenu le plus de voix, faire basculer ce vote des Démocrates aux Républicains dans ces 5 états aurait effectivement pour effet de faire passer la majorité des grands électeurs des démocrates aux républicains et d’assurer la victoire de Donald Trump, et ce malgré sa défaite très claire au vote populaire de l’ensemble des électeurs du pays.


Pour appuyer sa thèse, le président sortant affirme que les voix exprimées par la poste ne sont pas légales. Il a fait appel aux tribunaux de divers États pour les faire rejeter. Mais, toutes les cours de justice s’étant prononcées à ce propos, ont refusé ses nombreuses demandes, 55 au total, sauf une et pour peu de bulletins de vote.


Malgré tout, il a tenté de faire remonter la cause à la Cour suprême des États-Unis dont trois des neuf membres ont été nommés sous sa présidence. Elle a pourtant refusé à l’unanimité de l’entendre faute d’arguments valables. La Cour suprême estime ne pas avoir le pouvoir d’intervenir dans le processus électoral, d’autant plus qu’aucune preuve de fraude n’a été présentée.


Mais surtout, par cette décision, la Cour suprême a confirmé son indépendance face au pouvoir exécutif et à un président en colère qui estimait, à tort, que ceux-ci devaient lui être redevables de leur nomination, lui être « loyal ». Il aurait dû savoir que la loyauté des juges de la Cour suprême des États-Unis va à la Constitution et non au président qui les a nommés.

Malgré ses déboires, c’est la première fois depuis longtemps que le candidat battu ne reconnaît pas sa défaite et s’oppose à la transmission pacifique des pouvoirs qu’il détient. Il est même allé jusqu’à promouvoir une « marche » sur le Capitole le 6 janvier 2021, là où le Sénat et les Représentants se réunissaient pour confirmer le résultat électoral.


Cette marche s’est rapidement transformée en émeute retransmise en direct par les télévisions du monde entier. La Garde nationale a dû être appelée en renfort pour rétablir l’ordre.

Cet appel semble d’ailleurs avoir été fait sans que Donald Trump en soit avisé, ce que certains considèrent comme un désaveu par son entourage, voire même comme l’application partielle du 25e amendement à la Constitution qui prévoit le remplacement du président par le vice-président en cas d’inaptitude à gouverner.


Ces événements créent une période d’incertitude entre le jour de l'élection du 3 novembre et le jour de la transmission des pouvoirs le 20 janvier, soit pendant onze semaines où les États-Unis d’Amérique sont dirigés par un président sortant hostile au respect des traditions centenaires qui caractérisent l’une des plus anciennes démocraties du monde.


Pour illustrer cette situation particulière, on nomme habituellement le président traversant cette situation de « canard boiteux », estimant qu’il n’a plus le pouvoir moral de prendre des décisions ou des initiatives impliquant le pays à long terme et surtout, contraires aux vœux de la nouvelle administration qui entrera bientôt en fonction.


Mais il a toujours le pouvoir légal de faire fi du résultat électoral. Voilà pourquoi le terme « aigle blessée » me semblerait plus approprié. « Aigle » parce qu’il détient effectivement encore tous les pouvoirs de cette puissante fonction; « blessé » parce qu’il les perdra inéluctablement le 20 janvier.


Donc, pendant les 11 semaines qui suivent l'élection, le président de la plus grande puissance mondiale plane de la hauteur vertigineuse de ses pouvoirs immenses au-dessus de la planète grâce à l’envergure de ses ailes puissantes. Mais, au-delà de cette période, il n’aura d’autre choix que de disparaître, alors, qu'entre-temps le monde traverse péniblement la terrible pandémie de COVID-19 dont l'urgence devrait pourtant retenir toute l'attention des dirigeants politiques.


Au moment de la publication de ce texte, il ne reste que quelques jours avant la date fatidique de transmission des pouvoirs aux démocrates. Les élus tenteront-ils de le démettre de ses fonctions après ses scandaleux appels à la violence contre le Capitole, haut lieu de la démocratie américaine? Est-ce une mesure trop tardive? Comment se comportera cet aigle blessé, chutant des hauteurs vertigineuses où il plane actuellement vers le choc brutal de la dure réalité?


Sous la pression, il a finalement admis qu'il devra quitter le pouvoir le 21 janvier et a ajouté que la transition se ferait en bon ordre. Un scénario plus que souhaitable, mais dont on peut encore douter. Il est toujours possible que ce plongeon percute violemment la planète et provoque une gigantesque explosion aux conséquences imprévisibles?


La première caractéristique du système nommé « démocratie » dans le monde moderne est pourtant l’élection des dirigeants politiques par l’ensemble des citoyens et citoyennes lors d’un vote secret tenu à période régulière. Lorsque tout le peuple parle, les dirigeants acceptent son verdict. Le principal avantage de ce système est d’abord et avant tout de permettre de changer les dirigeants politiques sans violence, sans verser le sang, sans guerre civile.

Un atout majeur quand on examine l’état de désordre et de violence d’un grand nombre de pays sur notre planète qui ne bénéficient pas d’un tel mécanisme. Ils sont souvent aux prises avec des luttes acharnées et ruineuses entre groupes armés en vue de « prendre le pouvoir ».


Au contraire, dans une démocratie fonctionnelle, à la suite d’un vote libre au suffrage universel, les perdants concèdent la victoire aux vainqueurs sans toutefois perdre leurs droits de citoyens libres. Et les nouveaux élus dirigent leur peuple dans le respect des lois et des principes connus par ces électeurs. Ces lois ne peuvent être modifiées que dans un cadre bien déterminé, un cadre dit « légal ».


Mais entre-temps, la vie poursuit son cours sans perturbation majeure. Les électeurs maintiennent leurs activités habituelles, ils gardent le même travail, vivent dans les mêmes lieux, mangent la même nourriture qu’auparavant, tout ça dans un climat social habituellement paisible. Idéalement, les forces de l’ordre y appliquent les lois en n’utilisant que la force nécessaire pour la maintenir lorsqu’elle est troublée.


De plus, comme d’habitude, avant ou après un scrutin, tous peuvent s’exprimer librement sur les sujets de leurs choix. Cela inclut celui de leurs opinions politiques, même si celles-ci vont à l’encontre des dirigeants du moment. Et ils ont toute liberté pour préparer la lutte non violente contre ces dirigeants en vue de la prochaine élection.


Est-ce que cette tradition se poursuivra au-delà du 21 janvier? Les États-Unis d’Amérique ont été fondés à la suite de la guerre d’indépendance que 13 colonies anglaises de l’est de l’Amérique du Nord ont emportée contre l’Empire britannique en 1781.


Depuis lors, ils ont adopté des règles de fonctionnement politique inscrites dans un texte devenu « la Constitution des États-Unis d’Amérique » adopté en 1787 après maints débats.

Les décideurs de cette époque avaient entre autres comme préoccupation d’empêcher le rétablissement de la monarchie absolue dont ils venaient de se libérer. Mais ils ne souhaitaient pas non plus l’établissement d’un système démocratique dont les modèles historiques connus à cette époque s’étaient avérés sinon anarchiques, du moins instables. Ils inventèrent donc des institutions nouvelles qui, espéraient-ils, devaient leur permettre d’éviter ces écueils.


Résumons. Ils établirent que leur nouveau pays devait être dirigé par un président élu pour un mandat de quatre ans et non par un Roi. Ses pouvoirs devaient être suffisamment importants pour diriger efficacement, mais sans glisser vers l’absolutisme du passé.


Il lui était interdit d’ennoblir quelque citoyen que ce soit et de concéder des privilèges individuels. De plus, bien que ce président soit entre autres « chef des armées », il devrait obtenir l’assentiment d’un Sénat pour déclarer la guerre, nommer son Conseil des ministres, nommer les juges de la Cour suprême et ainsi de suite.


Ce sénat allait être formé de 2 représentants choisis par les citoyens de chacun des États tous les 6 ans, et ce, quelle que soit leur population. Il s’agissait d’un compromis proposé en vue de rallier à la Constitution les États moins populeux qui craignaient que tout le pouvoir ne se concentre dans les États plus populeux. Encore aujourd’hui, la Californie, dont la population est approximativement de 40 millions d’habitants, élit 2 sénateurs tout comme le Wyoming avec moins de 600 000 habitants.


Quant à la Chambre des représentants dont le mandat consistait à établir les lois, elle serait élue pour deux ans, et serait proportionnelle à la population de chaque état, recensé tous les dix ans.


Mais l’aspect le plus crucial de ce nouveau système concernait précisément les modalités du choix de ce président. C’est ici que les choses se corsent. Comment nomme-t-on un président compétent qui puisse avoir les pouvoirs suffisants pour être efficace, mais en s’assurant d’un côté qu’il ne devienne pas un dictateur, et de l’autre, qu’il ne soit pas dépendant d’un groupe d’hommes fortement liés entre eux qui pourraient alors utiliser leur influence pour défendre leurs intérêts personnels?


On finit par convenir que ce président, tel qu’expliqué ci-haut, serait choisi par un « Collège électoral » nommé par les dirigeants politiques de chaque État et dont le nombre serait au prorata de la population de chacun d’entre eux.

Ce Collège électoral n’existerait que pour cette unique fonction et serait dissous après chaque élection de façon à éviter la dépendance mentionnée ci-haut.


Tout était donc en place pour le fonctionnement des États-Unis d’Amérique. Et la nouvelle République de 4 millions d’habitants se mit en marche.


Mais, comme je le présenterai dans la prochaine lettre, d’autres forces vinrent pressuriser ces mécanismes qui n’avaient jamais subi l’épreuve de la réalité. Ces forces donnèrent lieu, au cours de ses 230 ans d’histoire, à l’adoption de 26 amendements qui eurent une grande influence sur l’évolution des États-Unis d’Amérique.



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1 Comment


lelab44
lelab44
Feb 22, 2021

Fort intéressant, phare éclairant !


L'expérience américaine de la démocratie a les qualités de ses défauts pour nous.


Je m'intéresse fort fort au Pl :39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin pour le Québec. Le gouvernement propose pour s'acquitter d'un engagement trans-partisan avec le PQ, QS et la CAQ signé au printemps 2018 de passer de l'actuel à proportionnel mixte à compensation régionale.


Vous m'en aviez donné sans le savoir une légère idée dans votre chapitre La démocratie dans les États populeux, distorsion de la représentation dans La Juste inégalité : Essai sur la liberté, l’égalité et la démocratie.


Vous le savez maintenant. Merci !


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