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Photo du rédacteurRobert Dutil

Constitution 1 : LA PROMESSE RÉFÉRENDAIRE

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022


Claude Ryan, chef de l'opposition du Québec



Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec francophone connut une importante croissance démographique. Jusque-là, les citoyens de langue anglaise contrôlaient l’économie, principalement dans les grandes villes, et le clergé catholique contrôlait ses fidèles de langue française, principalement dans les campagnes.


Tout cela allait changer à partir des années 1960. Les campagnes se vidaient de leur population. Les villes de la région de Montréal, à la recherche de main-d’œuvre pour les usines, croissaient de façon exponentielle. Et dans ces agglomérations urbaines de plus en plus populeuses, les revendications des francophones concernant le statut du français devinrent virulentes, parfois même violentes.


Après le long règne du premier ministre unioniste Maurice Duplessis, les libéraux, dirigés par Jean Lesage, prirent le pouvoir en 1960. Son très populaire ministre des Ressources naturelles, René Lévesque, en vint à plaider la séparation du Québec devant la résistance du reste du pays à accepter les réformes prônées par les nationalistes. Le Parti libéral n’accepta pas ce changement de direction. René Lévesque le quitta et fonda un parti politique nommé « le Parti québécois ». Il subit deux défaites électorales très nettes en 1970 et 1973 contre les libéraux dirigés à ce moment-là par un nouveau chef, le jeune économiste Robert Bourassa.


À l’élection de 1976 toutefois, le Parti québécois promit qu’après son élection, il tiendrait un référendum pour approuver ou non la séparation du Québec du reste du Canada. Entre temps, il promettait de bien gérer le Québec. Les libéraux étaient à ce moment très impopulaires.


J’étais alors âgé de 25 ans, et avais fait mon entrée comme conseilleur municipal à Saint-Georges de Beauce, mais je ne militais dans aucun parti provincial et n’étais d’ailleurs pas identifié comme supporteur de l’un ou l’autre. J’approuvais toutefois, entre autres, les propositions de protection de la langue française et celle de réforme du financement des partis politiques proposées par le Parti québécois. J’acceptai d’ailleurs de faire un don de financement politique au Parti québécois, mais refusai d’en devenir membre, ne partageant pas leur opinion sur le principal point de leur programme : la séparation du Québec du reste du Canada. L’idée donc de scinder le vote en deux étapes me plut : un bon gouvernement d’un côté; un référendum sur la souveraineté de l’autre.


J’aurais voté à ce moment-là pour le Parti québécois n'eut été la particularité du député beauceron, Fabien Roy, qui avait été élu en 1970 et réélu en 1973. Je le considérais comme un homme honnête et travailleur qui méritait d’être appuyé, même si je ne partageais pas le concept du Crédit social.


Au niveau provincial, la stratégie du Parti québécois fonctionna parfaitement. Il emporta la majorité des députés avec 71 sièges (57 %), même s’il n’avait obtenu que 41,5 % des voix, car quatre partis politiques se les partageaient. René Lévesque devint premier ministre. Les législations adoptées au cours des premières années de son mandat furent bien reçues. Mais on en vint bientôt à l’organisation de l’éventuel référendum sur la séparation du Québec et, en particulier, sur le choix de la question qui serait posée aux électeurs.


Entre-temps, Robert Bourassa avait démissionné de son poste de chef du Parti libéral du Québec après sa magistrale défaite de 1976 et avait été remplacé par Claude Ryan, un intellectuel de haut niveau, qui était alors le directeur du journal « le Devoir ».

Quelques temps plus tard, Fabien Roy démissionna comme député de Beauce-Sud pour devenir chef du Crédit social à Ottawa, ce qui allait provoquer une élection partielle dans le comté.


Je fus sollicité et par les péquistes et par les libéraux pour devenir candidat à cette partielle. Je rencontrai Jean Garon, qui était alors ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de René Lévesque, à qui je confiai mon appréciation des politiques de son parti, mais mon désaccord avec le projet de souveraineté du Québec. J’en arrivai rapidement à la conclusion que tout ralliement avec ce parti était impossible puisque je n’approuvais pas le point numéro 1 de son programme. J’avisai peu après M. Garon de ma décision.


Pour résumer ma position, j’estimais que l’existence d’un pays comme le Canada était un avantage important pour les citoyens. Peu de pays dans le monde jouissent de la même liberté, de la même richesse et de la même justice indépendante que le Canada. Je ne crois pas que les frontières doivent être déterminées par une appartenance culturelle particulière, à la condition, bien sûr, que le pays respecte ces particularités autant que faire se peut. La séparation du Québec entraînerait le risque d’un important traumatisme, sans garantie de retrouver les mêmes avantages après la séparation.


Notons toutefois que le Parti québécois ne prônait pas la souveraineté absolue. Il souhaitait la « souveraineté-association », concept qui comportait, entre autres, le maintien d’une monnaie commune et d’une union économique qui restait à définir.


On peut assimiler ce genre de structure à une union confédérale, celle-là même que les États-Unis avaient abandonnée en 1788, moins de six ans après l’obtention de leur indépendance, car ces liens trop faibles s’étaient avérés inefficaces.


Quant à la protection de la culture française, la seule véritable garantie de continuité réside dans un paramètre très terre à terre : le taux de natalité. Les raisons qui entraînent la disparition des cultures sont variées : les guerres, les génocides, les pandémies, les désastres naturels. Mais à long terme, dans une société moderne et paisible, ce qui détermine ou non la continuité d’une culture humaine sur un territoire donné concerne le taux de natalité. Il suffit d’un écart relativement faible pour qu’à long terme, un groupe culturel en surpasse un autre en nombre. Les peuples dont le taux de naissance est inférieur à deux enfants par femme verront leurs populations diminuer à chaque génération; ceux dont les taux de naissance dépassent deux enfants par femme verront leur population augmenter à chaque génération.


À titre d’exemple, la région de l’Estrie, dans la partie sud-ouest du Québec, a été initialement habitée par des tribus autochtones bien sûr, puis par des anglophones loyalistes venus des États-Unis au début du 19e siècle. Ils quittaient le territoire américain pour rester fidèles à la couronne britannique; il n’y avait alors aucun francophone dans cette région.


Mais les familles anglophones comptaient beaucoup moins d’enfants que celles des francophones. Et les francophones des autres régions y débordèrent. Bref, aujourd’hui, cette région qui compte bien des villages au nom anglophone, est habitée très majoritairement par des francophones à cause de cette disparité dans le taux de naissances des deux groupes linguistiques au cours des deux derniers siècles.


Pour revenir à ma position sur les partis politiques, malgré mes réserves antérieures sur le Parti libéral, je considérai que l’arrivée de Claude Ryan à sa tête changeait la donne et décidai d’être candidat à la convention que le parti organisa dans le comté en vue de l’élection partielle. Un autre candidat décida d’y poser sa candidature. Il s’agissait du notaire Herman Mathieu qui était coroner et bien connu pour son implication dans le développement économique de la partie du comté où il habitait.

La course entraîna une hausse du membership du Parti libéral à plus de 7 000 membres dont 4 800 votèrent à cette convention. Je fus défait, me ralliai et appuyai Herman Mathieu qui gagna le comté pour les libéraux. Il ne s’agissait que d’une deuxième victoire depuis 1944, époque où mon grand-père, Édouard Lacroix, député fédéral libéral, en rupture avec son parti parce qu’il imposait la conscription, appuya le candidat de l’Union nationale. La seule autre fois où les libéraux avaient gagné le comté entre-temps fut à l’élection de 1960, mais ils le reperdirent dès 1962. La victoire à cette élection partielle du 14 novembre 1979 était donc une exception depuis plus de 34 ans.


Par ailleurs, à l’élection municipale de 1979, je fus élu maire de Saint-Georges. Et en 1980, lors de la première campagne référendaire sur la séparation du Québec, je présidai le comité du « non » pour le comté.


Au niveau fédéral, le premier ministre libéral depuis plus de 11 ans, Pierre-Elliot Trudeau (du 20 avril 1968 au 3 juin 1979), perdit ses élections le 22 mai 1979 aux dépens des conservateurs de Joe Clark qui obtinrent 136 sièges avec 36 % des voix; les libéraux de Pierre-Elliott Trudeau gagnèrent 114 sièges malgré 40 % des voix; le NPD, 26 sièges avec 18 % des voix; et le Crédit social de Fabien Roy, 6 sièges avec 5 % des voix.


Mais dans un imprévisible retournement de situation, Pierre Elliott Trudeau qui, après une marche de réflexion en hiver 1980 avait annoncé qu’il quittait la politique, était encore en poste lorsque le gouvernement conservateur perdit un vote de confiance, parce que les conservateurs et les créditistes de Fabien Roy ne s’étaient pas entendus pour voter ensemble. Et cela entraîna une nouvelle élection fédérale.


Les libéraux reprirent le pouvoir majoritairement le 3 mars 1980. C’est donc Pierre Elliott Trudeau qui, avec son lieutenant québécois, Jean Chrétien, dirigea les forces fédérales du « non », alors que du côté québécois, le leadership était assumé par le chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan.


Et le sujet qui était alors sur toutes les lèvres avant la tenue de ce référendum promis et tant attendu était : « quelle sera la question? » Il faut savoir que ce choix appartenait à l’Assemblée nationale, contrairement au choix de la réponse qui appartenait à tous les électeurs. C’était donc au gouvernement du Parti québécois de la formuler puisqu’il était majoritaire à l’Assemblée nationale. Celle qu’il adopta malgré les vives objections des oppositions fut :


« Le gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d’en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l’égalité des peuples; cette entente permettrait au Québec d’acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d’établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l’utilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l’accord de la population lors d’un autre référendum; en conséquence, accordez-vous au gouvernement du Québec le mandat de négocier l’entente proposée entre le Québec et le Canada? »


Il s’agissait en fait de remplacer le lien « fédéral » par un lien « confédéral ». Les fédéralistes jugeaient ce système inefficace.


Le débat fit rage pendant plusieurs semaines, mais il se passa sans violence. Le référendum eut lieu le 20 mai 1980. Le « non » l’emporta avec 60 % des votes. La proportion de votes exprimés, quant à elle, atteignait 85 %, une participation exceptionnelle montrant l’importance que les Québécois accordaient à ce sujet.


Voilà qui devait clore cette question. De son côté, le premier ministre du Canada avait promis le rapatriement et une révision de la Constitution. Il s’attela à cette tâche avec énergie dès le lendemain du référendum.



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