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Constitution 5: L'ÉCHEC DE LA RATIFICATION

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022

Jacques Parizeau, premier ministre du Québec



L’accord du lac Meech de juin 1987, entre les 10 provinces et le gouvernement fédéral, devait être ratifié dans les trois ans suivant cette entente. Ce délai semblait tout à fait acceptable.


Quant au nombre minimum requis de gouvernements l’acceptant pour son entrée en vigueur, il était, depuis le rapatriement de 1982, de sept provinces sur 10 représentant au moins 75 % de la population du Canada. L’unanimité si difficile à obtenir dans ce genre d’entente n’était requise que sur un nombre restreint de sujets.


Rappelons à cet effet l’exemple le plus souvent cité sur le sujet. En 1787, les États-Unis d’Amérique avaient modifié leur propre constitution confédérale inopérante en particulier à cause de cette règle d’unanimité, et l’avaient remplacée par la nécessité d’obtenir l’accord de 75 % des États et des 2/3 des membres des deux chambres du Congrès pour la modifier. En 1982, le Canada s’était inspiré de cet exemple en adaptant cette règle à sa situation.


Les premiers ministres avaient cependant convenu que l’accord du lac Meech n’entrerait en vigueur que lorsque tous les gouvernements l’auraient accepté. Ils s’imposaient eux-mêmes l’unanimité, malgré les dangers bien connus de cette contrainte.


Et leur optimisme semblait justifié. Il ne manqua bientôt plus que le Manitoba pour sceller cet accord historique.


Un acteur d’alors me confia plus tard qu’ils auraient dû, lors des discussions finales, convenir explicitement de procéder à cette ratification dans les plus brefs délais dans toutes les provinces et de faire le suivi en conséquence. Ne dit-on pas que «Tout ce qui traîne se salit».


Mais l’utilisation de la «Clause nonobstant» au Québec, à la fin 1988 pour empêcher l’affichage en anglais dans la province, irrita vivement le Canada anglais. De plus, l’ex-premier ministre Pierre-Elliott Trudeau était parti en guerre contre cet accord. Et selon son habitude, il y alla de sa position fortement centralisatrice. Il déclara qu’il s’agissait d’un jour sombre pour le Canada : «l’accord du lac Meech rendra le Canada impotent» … il la qualifia de gâchis total et dans lequel il voit un encouragement direct à la souveraineté-association… «Dans la dynamique du pouvoir, ajoutait-il, cela voudrait dire qu’il (le Canada) sera éventuellement gouverné par des eunuques… le gouvernement central abandonne d’importants éléments de sa juridiction, comme le pouvoir de dépenser et l’immigration. Nos chefs politiques manquent de nerfs.»


Puis il sombra finalement dans les insultes personnelles, attitude indigne qu’il avait adoptée trop souvent au cours de sa carrière: «Le gouvernement canadien est tombé entre les mains d’un pleutre» dit-il, en parlant du premier ministre Brian Mulroney.


Les nombreux fédéralistes québécois ne voyaient pas cet accord du même œil. En voici les cinq points:

1- Des sénateurs et des juges seront nommés par les provinces;

2- Les provinces peuvent prendre part à la politique d’immigration;

3- Les provinces peuvent réclamer une compensation financière si elles ne veulent pas participer à un programme fédéral (dans les champs de compétence provinciaux);

4- L’unanimité des provinces est exigée pour les institutions centrales;

5- Le Québec obtient le statut de «société distincte» en matière de langue, de culture et de système légal.


Il s’agit donc effectivement d’une orientation vers davantage de décentralisation sans toutefois, de notre point de vue, remettre en question les solides fondements du Canada; une réorganisation tout à fait acceptable et comparable à celle d’autres fédérations à travers le monde. Et surtout, cet accord rétablissait l’harmonie entre le Québec et le reste du Canada, harmonie mise à mal par le rapatriement de 1982 réalisé tout à fait légalement contrairement à ce que prétendent les souverainistes, mais sans l’accord du gouvernement du Québec, ce qui demeurait un irritant majeur au Québec.


J’eus, à cette époque, une conversation en aparté avec Gil Rémillard, notre ministre spécialiste de la constitution lors d’un Conseil des ministres. Je lui demandai pourquoi les clauses de l’accord n’exigeant pas l’unanimité selon la constitution ne pouvaient être insérées immédiatement, puisque le niveau de sept provinces et 50 % de la population était atteint. Il me répondit qu’il avait été convenu que cet accord serait adopté à l’unanimité.


Mais répliquai-je, rien n’empêche celles qui l’ont déjà adopté d’accepter immédiatement les trois clauses sur cinq qui n’exigeaient pas l’unanimité.


Je n’obtins pas de réponse. Il me rassura simplement. Il était convaincu que l’accord serait finalement adopté à l’unanimité avant les trois ans prévus. Il restait alors quelques mois. Je n’insistai pas. Je le regrette profondément aujourd’hui. Il aurait valu la peine d’y aller de ce coup de force pour avaliser trois clauses sur cinq. Est-ce que ç’aurait été inélégant? Oui, mais pas davantage que le coup de force effectué par le gouvernement Trudeau sans l’accord du gouvernement du Québec lors du rapatriement de 1982.


On connaît la suite. Clyde Wells, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, menaçait toujours de retirer sa province de l’accord donné par le gouvernement qui l’avait précédé, ce qu’il fit le 5 avril 1990. L’opinion publique canadienne, majoritairement favorable à l’accord au départ, ne l’était plus, la clause nonobstant utilisée par le Québec pour ne pas appliquer le jugement de la Cour suprême sur l’affichage au Québec y étant pour beaucoup.


Et le Manitoba, qui devait obtenir l’unanimité de sa législature, voyait un élu des Premières Nations, Elijah Harper refuser sa voix parce que cet accord ne tenait aucun compte des revendications des Premières Nations. Peut-on le lui reprocher? Sûrement pas, car après tout, nous avions nous-mêmes remis ce privilège exorbitant d’unanimité entre ses mains et il l’utilisa.


L’accord du Lac Meech ne fut donc pas adopté après trois ans et mourut avant sa naissance. L’unanimité faisait une nouvelle victime dans l’histoire tumultueuse de la politique mondiale.


Le 22 juin 1990, à l’Assemblée nationale de Québec, le premier ministre du Québec y alla de la déclaration suivante :

«Le Canada anglais doit comprendre de façon claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement.»


Lors de cette même séance, le chef de l’opposition Jacques Parizeau appela Robert Bourassa «mon premier ministre» et ajouta «je vous tends la main», puis il traversa l’allée centrale pour venir le féliciter sous les applaudissements de tous les députés.


La turbulence que nous souhaitions apaiser cinq ans plus tôt en prenant le pouvoir après les deux mandats du Parti québécois venait de reprendre son élan. Malgré cette déclaration nationaliste du premier ministre, il ne songea pas ni à séparer le Québec du Canada ni à organiser un referendum sur la question.


Mais ce n’était que partie remise. Le Parti québécois espérait bien reprendre bientôt le pouvoir. Aucun parti n’avait gagné plus de deux élections d’affilée depuis Maurice Duplessis en 1956. Tous les regards étaient donc désormais tournés vers le prochain rendez-vous électoral prévu en 1993 ou 1994 où le Parti québécois promettait, en cas de victoire, un nouveau referendum.


Près de 20 ans après l’élection d’un premier gouvernement du Parti québécois, on s’apprêtait à revenir à la case départ et le Canada allait bientôt affronter sa pire tempête constitutionnelle.


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