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Photo du rédacteurRobert Dutil

Le compromis

Dernière mise à jour : 9 juin 2022

Une entente imparfaite, mais acceptable

Raymond Bachand


Au-delà de mon travail au ministère du Revenu, le différend concernant le dossier des subventions gouvernementales aux régions ressources demeurait une importante préoccupation. Les discussions ne reprirent toutefois véritablement qu’après la période des fêtes en janvier 2009. Elle relevait de la ministre des Finances, Mme Jérôme-Forget avec qui j’avais renoué une relation correcte. Les discussions se faisaient la plupart du temps avec les fonctionnaires et servaient à explorer les solutions gagnant-gagnant évoquées au cours des élections et qu’il fallait maintenant préciser.


D’autre part, je m’assurai d’une constante vigilance sur la stratégie qu’allait certainement adopter le lobby des régions ressources. Il fallait en premier lieu maintenir la pression pour empêcher toute prolongation de cette politique, comme cela avait été malheureusement le cas l’année précédente. Le fait que le gouvernement était redevenu majoritairement libéral aurait dû suffire à éviter cette situation, mais deux précautions valent mieux qu’une.


Entre autres, bien qu’ayant démissionné de mon poste de président de l’Union du Centre lorsque je devins candidat libéral à l’automne 2008, je m’étais assuré d’une relève et avais recommandé de ne pas dissoudre ce parti immédiatement. Je croyais sage d’attendre que la solution gagnant-gagnant au cœur de nos discussions soit en place avant de passer à cette étape. Agir plus tôt aurait lancé le message que nous nous sentions suffisamment fort pour baisser notre garde.

Un lobby bien organisé agit comme l’eau sur un barrage : il profite de toutes les fissures pour s’infiltrer, affaiblir et ultimement détruire les obstacles qui l’empêchent d’inonder l’aval.

Le lobby des régions ressources, bien qu’affaibli, avait largement mérité notre respect pour son efficacité redoutable. Comme l’eau, il continuerait à travailler sans relâche pour atteindre ses objectifs.


Quelques événements surprises se produisirent au cours de cette période. À peine 4 mois après l’élection générale, le 8 avril 2009, la ministre Monique Jérôme-Forget annonça sa démission comme député, aux grands cris de l’opposition soupçonnant que sa candidature prestigieuse à l’automne n’avait eu d’autre but que d’aider Jean Charest à remporter ces élections prématurées. Je pense que c’était vrai. Si tel est le cas, elle ne fait que démontrer l’habileté politique de Jean Charest, même si ce procédé, tout à fait légal, est critiquable pour les coûts d’élection partielle de plus de 500 K $ qu’il génère au trésor public.


Le critique de l’opposition officielle Bernard Drainville le martela pendant des mois de façon tonitruante. Mais la vague passa. Celle que l’on surnommait la dame de fer disparut des écrans radars. Elle fut remplacée par Raymond Bachand qui siégeait déjà au Conseil des ministres et avec qui les discussions sur notre dossier reprirent immédiatement.


Puis la démission de Mario Dumont dans Rivière-Du-Loup après l’élection vint également retarder notre travail. Il était important de gagner les élections partielles déclenchées dans ce comté à la suite de son départ. Il nous fallait, autant que faire se peut, solidifier notre mince majorité. Le premier ministre lui-même prit soin de tester ma solidarité avant de déclencher cette élection partielle pour le 22 juin. La parole donnée lors de la rencontre où il m’avait nommé candidat du parti avait valeur de contrat pour moi. De toute façon, la solution devait nécessairement passer par un accord entre les députés concernés du caucus libéral et toute dissidence qui aurait entraîné la chute du gouvernement aurait été contre-productive. Seul un compromis acceptable auprès de la vingtaine de députés libéraux concernés permettrait de dénouer l’impasse.

Bien qu’étant un comté d’une région-ressource, notre candidat libéral Jean D’Amour parvint à gagner et rejoignit notre caucus, ajoutant un 67e député à notre équipe. Je ne fus pas surpris.

Pour les citoyens d’un comté rural, il vaut mieux voter du côté du pouvoir lors d’une élection partielle, même si une importante divergence d’opinions les oppose au gouvernement. Il est plus facile d’influencer de l’interne que de l’externe.


Entre-temps, en plus du ministère du Revenu et des autres activités politiques à Québec, je reprenais racine en politique locale en participant à un maximum d’activités sociales dans l’une ou l’autre des 24 municipalités de Beauce-sud que je représentais à nouveau à l’Assemblée nationale.


Et d’autre part, j’avais pris contact avec Claude Béchard, le député de Kamouraska-Témiscouata que je connaissais depuis longtemps, mais plus particulièrement depuis qu’il était devenu candidat de ce comté pour la première fois en 1997 au cours d’une élection partielle qu’il emporta et où mon épouse, spécialiste de ce genre d’organisation, avait été très impliquée.


Ce jeune surdoué, de 20 ans mon cadet, était diplômé de sciences politiques. Il maîtrisait déjà les éléments de la joute politique. Je pus dès lors me rendre compte de l’étoffe rare dont nous disposions avec lui : bon orateur, possédant déjà l’art de l’ironie, des attaques bien senties, il connaissait ses sujets, les abordait avec talent et avait souvent le mot amusant pour détendre l’atmosphère. Il correspondait au portrait flatteur qu’on m’avait fait de lui.

Claude Béchard avait toute la confiance du premier ministre Jean Charest. De plus, son comté faisait aussi partie des régions ressources dans le Bas-Saint-Laurent. Il était l’interlocuteur parfait pour trouver cette fameuse solution gagnant-gagnant que nous n’avions cessé d’évoquer depuis l’élection-surprise de l’automne.

Je ne fus pas déçu. Il comprenait parfaitement les enjeux, et la délicatesse du sujet pour les électeurs.


La date limite pour résoudre cette épineuse question correspondait maintenant à la date prévue de la fin de ce programme à l’automne 2009 et inutile de dire que le lobby des régions ressources travaillait vigoureusement pour obtenir une nouvelle prolongation. Côté libéral, il faut comprendre que les deux groupes étaient formés de 10 députés libéraux provenant des régions ressources d'un côté et de 11 députés libéraux provenant des régions centrales de l'autre. En cas de dispute grave, chaque groupe avait la possibilité de renverser le gouvernement faiblement majoritaire que nous formions.


On en vint à un compromis au cours de l’été, avant l’échéance du renouvellement. Les députés libéraux des régions ressources avaient compris que les subventions aux salaires allaient disparaître; les députés libéraux des régions centrales devraient toutefois accepter que des subventions d’un pourcentage égal à ce 30 %, devenu un symbole fort, allaient être accordées, mais seulement aux immobilisations en équipement.


Cette subvention ne pouvait toutefois pas être amortie. En clair, les entreprises qui en bénéficieraient devraient payer leurs impôts sur les bénéfices sans pouvoir diminuer ces profits de la dépréciation de ces subventions, ce qui en réduisait d’autant l’avantage à long terme. De plus, le reste de l’investissement, c’est-à-dire 70 %, était entièrement à leur charge, ce qui entraînait une prudence de leur part avant de prendre de tels risques. Ce dossier pour lequel j’avais décidé de revenir en politique trouvait enfin son aboutissement.

Ce nouveau système demeurait inéquitable dans une économie de libre concurrence, mais dorénavant, dans la plupart des cas du moins, la blessure ne serait pas mortelle.

Il nous fallut donc l’accepter pour éviter une nouvelle élection générale risquée. Le résultat suscita bien sûr du mécontentement de part et d’autre. Ceux qui perdaient le soutien du gouvernement pour payer 30 % des salaires de leurs employés traitaient nos régions d’égoïstes. Mais ceux qui avaient perdu leurs emplois ne les retrouvèrent pas avec ce compromis. Et ceux qui avaient perdu leurs entreprises ne purent pas les ressusciter. Dans mon propre comté, ceux qui pensaient que mon élection permettrait de rétablir la situation antérieure à la création de cette politique me haïssaient. Certains ne me saluaient plus ou refusaient de me serrer la main. Les plus audacieux m’engueulaient.


La grande leçon de cette saga est la suivante : il faut toujours garder un œil vigilant sur les propositions politiques que divers groupes d’intérêt moussent pour faire avancer, non pas l’intérêt de la société, mais celles de leurs groupes. Les petits industriels des régions centrales l’avaient appris à leurs dépens.

Rappelez-vous que l’objectif premier des élus consiste à maintenir le soutien populaire qui leur permettra de gagner la prochaine élection.

Et surtout, ne perdez pas votre temps à leur reprocher cette attitude. La réalité, c’est que les politiciens qui ne le font pas perdent leurs élections pour être remplacés par des élus qui, eux, s’occupent de leur soutien populaire. Tel est le cercle vicieux. Pour éviter ces problèmes, la solution consiste plutôt à intervenir dès le départ à l’encontre des lobbys qui sollicitent ces privilèges des gouvernements en échange de leur soutien. Sans contrepoids, vous serez balayés. Nos régions dites centrales avaient connu une période de plein emploi et s’en étaient réjouie …un peu trop. C’est ainsi que, furtivement, nos concurrents étaient parvenus à les concurrencer avec de l’argent public. Et nos entreprises constatèrent bientôt qu’il est plus facile d’empêcher les injustices avant qu’elles ne se produisent que de les corriger. Vous vous heurtez alors à des groupes qui estiment que ces privilèges leur sont dus et qui se battent avec acharnement pour les préserver.


Le cas que je viens de vous raconter n’est qu’un tout petit exemple des épreuves de force que vivent nos démocraties. Les groupes qui souhaitent s’assurer de juteux contrats publics tentent de les obtenir par tous les moyens. Soutenir les politiciens qui leur promettent de les leur donner n’est qu’un de ceux-là. Financer les campagnes électorales à haut niveau en constitue un autre. Le summum pour eux consiste à se faire octroyer un monopole par l’État, éliminant ainsi toute concurrence.


Les États-Unis sont l’exemple ultime des abus que de cette liberté d’expression reconnue par leurs tribunaux peut entraîner. Elle stipule que tout électeur, y compris les entreprises, peut investir les montants qu’il veut lors d’une campagne électorale pour faire valoir ses choix. Dans le pays le plus puissant du monde, l’électeur le plus puissant s’appelle DOLLAR.


À la chambre des représentants à Washington, cette tendance est exacerbée par la durée de leur mandat de deux ans. Les pères de la constitution américaine le voulaient court pour éviter que ces élus ne s’éloignent trop de leurs électeurs. Mais le résultat qui saute aux yeux aujourd’hui est la dépendance de ces élus envers leurs donateurs pour payer les énormes coûts des élections à répétition qu’ils doivent organiser. Un représentant du Congrès américain doit d’abord et avant tout être un formidable collecteur de fonds et faire les promesses les plus attirantes pour être élu.


Notre propre système est bien sûr imparfait, mais il y a des balises qui limitent les dépenses électorales. De plus, la durée des mandats est de quatre ans, un temps suffisant pour obtenir les résultats parfois lents à apparaître. Et enfin, tous les citoyens sont libres de former un parti politique correspondant à leurs convictions sans que les élus en place ne puissent les en interdire.

En politique, la dépense d’énergie qu’il faut investir pour défendre ses convictions est considérable, mais au moins, il existe des outils pour se battre efficacement.

Quant à moi, je pouvais maintenant consacrer mon temps aux multiples autres dossiers que la vie politique génère constamment comme un ouragan perpétuel.



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