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Photo du rédacteurRobert Dutil

Financement politique: une expérience de terrain

Dernière mise à jour : 5 oct. 2022

Une expérience de terrain

« Je vous appelle pour le financement du parti… »


« Financement populaire » : l'expression appliquée aux partis politiques fut de plus en plus utilisée aux alentours de la création du Parti québécois en 1968. Elle référait à une levée de fonds où les contributions, plus nombreuses, étaient d’un montant plus modeste.

Mais le concept ne précisait pas le niveau auquel on prétendait que ces dons étaient « modestes ». Toutefois, bien que ce maximum de don légal ait été plafonné à 3 000 $ en 1977, il semblait clair que ce montant, s’il méritait alors le qualificatif de « raisonnable », ne méritait pas celui de « modeste ».


Après l’adoption de la loi, les partis durent s’ajuster à la nouvelle législation. Le Parti québécois sans grand problème, le Parti libéral, avec plus de difficulté. Quoiqu’il en soit, peu de circonscriptions électorales organisèrent un financement systématiquement « populaire ».


De mon côté, je souhaitais que le parti l’organise, mais je n’avais alors pas l’autorité requise pour ce faire. Cette opportunité survint toutefois lorsque le député libéral de Beauce-Sud se retira en 1985 pour raison de santé. Me Herman Mathieu avait été élu député libéral de Beauce-Sud à la suite de la démission de M. Fabien Roy en 1979 qui, lui, devint le chef du Crédit social du Canada.


M. Mathieu et moi avions été adversaires lors d’une convention au printemps 1979 pour le choix du candidat libéral où un nombre exceptionnel de 4 800 membres de la circonscription votèrent. Il avait gagné cette convention et devint le premier libéral à être élu en Beauce depuis 1960. Il fut réélu en 1981.


Cet homme avait le mérite peu ordinaire d’être retourné aux études à l’âge adulte pour devenir notaire. Il était coroner au moment de son élection. Il était grandement impliqué dans l’étonnant développement industriel de son village, Saint-Éphrem-de-Beauce, grâce à son infatigable dynamisme. Il fut malheureusement frappé par la maladie.


À la suite de sa démission, je fus choisi candidat de Beauce-Sud pour le Parti libéral et élu à l’élection de 1985. De ce poste, je pus plus facilement mettre en place l’expérience particulière que je vais vous conter. Le financement du parti dans le comté était organisé par un groupe dévoué, mais où trop peu de partisans libéraux contribuaient. J’estimais que cette situation était en grande partie due au simple fait que trop peu de partisans étaient sollicités.


Les donateurs ne se présentent pas spontanément à la porte d’un parti pour offrir de verser une contribution.

Ce résultat ne s’obtient que si une organisation structurée fait une vaste campagne pour atteindre cet objectif. De plus, j’estimais que le député devait participer, prudemment bien sûr, mais néanmoins activement à ce travail. Bien que j’eusse, dès cette époque, des réserves sur le lien risqué entre les donateurs et le député s’il était lui-même le solliciteur, j’estimais ce danger acceptable pour des dons « modestes ». Je proposai donc à mon exécutif de comté d’organiser un déjeuner bénéfice à 50 $ l’unité.


En 1985, 50 $ n’était pas vraiment un montant que l’on pourrait qualifier de modeste, mais la nouvelle loi de 1977 permettait au donateur de bénéficier d’un crédit d’impôt de 50 % pour ces petits montants. Cette disposition ramenait le prix de la contribution politique à 25 $.


De plus, le coût du déjeuner d’environ 8 $ pouvait être inclus dans cette contribution, ce qui équivalait implicitement à diminuer d’autant son coût. Le véritable coût du déjeuner-bénéfice pour le donateur s’élevait donc à 17 $ (50 $ contribution - 25 $ crédit d’impôt - 8 $ coût du déjeuner inclus). On convint que cette formule pouvait certainement être qualifiée de « populaire ».


Il restait cependant l’importante question de la sollicitation. L’effort requis pour obtenir un nombre important de contributions n’avait jamais été expérimenté. Je suggérai de le faire par téléphone et proposai de faire moi-même tous les appels. L’exécutif pensait qu’il s’agissait là d’une mission impossible d’autant que je fixai l’objectif à 1 000 personnes. J’insistai. Ce serait là ma seule implication. Tout le reste devrait être fait par des bénévoles. Je les convainquis; ils acceptèrent finalement.


La sollicitation était après tout la partie difficile. Tout le reste n’était qu’organisation. Il fallait tout d’abord bâtir une liste de partisans et sympathisants pour chacune des trente municipalités qui composaient alors le comté. Il était hors de question d’appeler à l’aveugle si nous voulions que chaque appel ait de bonnes chances de générer une réponse positive.


Puis, on prépara les séances avec soin. Mon argumentation devait être percutante, mais brève. Elle ne devait pas dépasser 3 minutes. On arriva effectivement à me faire parler à 20 personnes à l’heure avec un résultat positif de 80 %.


Il fallait 3 téléphonistes qui m’alimentaient en appelant le prochain nom de la liste dès que j’en terminais un; 2 autres personnes prenaient immédiatement le combiné téléphonique et remplissaient les formulaires des donateurs requis par la loi et les inscrivaient sur la liste des visites à faire; ils remettaient ce formulaire à des bénévoles qui partaient en voiture avec un autre bénévole pour recueillir les dons et livrer les reçus et billets du déjeuner-bénéfice.



Il fallut peu de temps avant de bien roder la formule, mais tout ne se déroulait pas toujours rondement. Malgré toutes les précautions que nous prenions, il arrivait que nous demandions au téléphone une personne décédée. Nous nous confondions alors en excuse, mais le mal était fait. C’est le genre d’erreur que j’estimais impardonnable.


Il y avait aussi des situations cocasses. Ainsi, lors d’un autre appel, je parlai à un homme qui, après le « allo », ne prononça pas un mot ni avant, ni après ma présentation. Je dois dire qu’après quelques centaines d’appels, je récitais ce texte tout à fait par cœur. Devant son silence, je lui demandai s’il était toujours là. Sans réponse après quelques secondes, je m’apprêtais à raccrocher lorsqu’il me répondit qu’il était toujours là, mais que je l’avais déjà appelé plus tôt. L’appel était à ce point similaire à celui qu’il avait reçu qu’il se demandait s’il ne s’agissait pas d’un enregistrement. Son silence lui permettait de vérifier si tel était le cas. Mon grand éclat de rire lui confirma qu’il s’agissait bien d’un appel réel, et que son nom s’était tout simplement retrouvé par inadvertance sur 2 listes.


L’opération prit une vingtaine de soirées, une cinquantaine d’heures d’appels, environ 550 heures de bénévolat supporté par une cinquantaine de personnes, soit environ 600 heures de travail.


Nous vendîmes 800 billets à 50. $ pour une campagne brute de 40 000 $ de laquelle était soustrait environ 10 000 $ de frais, laissant un montant net de 30 000 $.

Ce dernier montant divisé par le 600 heures de travail requis nous rapportait donc 50 $ par heure investie. C’était plus que satisfaisant.


Le déjeuner lui-même s’avéra un grand succès politique. Un ministre invité y alla d’un discours de circonstance devant une salle bondée. Plusieurs députés des comtés voisins étaient venus. Ils étaient répartis à plusieurs tables et participaient aux conversations avec les convives; je terminai l’événement en remerciant tous les acteurs de cette expérience.


Cela confirmait qu’il était donc possible, grâce à la loi de 1977, mais aussi grâce aux bénévoles qui soutenaient l’organisation, de faire le financement annuel local au complet par du financement populaire, du moins en certaines circonstances et dans certaines régions. Tous les comtés ne vivent évidemment pas la même situation. Les comtés urbains ne sont pas délimités par municipalités, mais par quartiers qui s’interpénètrent. Les divers partis ne jouissent pas partout de la même notoriété. Mais un tel événement en démontrait à tout le moins la réelle possibilité pour peu qu’une organisation y mette un effort sérieux et planifié.


Il y a toutefois un élément important auquel cette expérience ne répond pas : quel niveau de contribution raisonnable peut-on fixer pour que d’éventuelles pressions de ces donateurs sur les élus ou ceux qui les sollicitent n’entraînent pas de favoritisme injustifié? Selon mon expérience, le maximum fixé à 3 000 $ à cette époque était trop élevé. Certains contributeurs s’estimaient justifiés de demander des faveurs en contrepartie d’un don de ce niveau. La plus fréquente consistait à obtenir un rendez-vous privé avec un ministre pour les raisons les plus diverses. En fait, ces gens souhaitaient faire du lobbying ou, à tout le moins, faire la démonstration à certaines personnes de leur facilité à faire du lobbying.


Ces situations sont aujourd’hui mieux encadrées par une loi qui y pourvoit. Elle ne l’interdit pas, mais elles rendent ces démarches plus transparentes. D’autres demandes s’avéraient, paraît-il, carrément plus agressives, mais je n’en recevais pas, ayant la réputation de manquer odieusement de reconnaissance envers ces donateurs si généreux.




Quant au plafonnement du montant individuel de don aux partis politiques, je rappelle que: toute limitation freine la liberté des individus à disposer de leurs biens. Elle doit donc être justifiée par le déséquilibre politique considérable que cette liberté permet en faveur des mieux nantis par rapport aux moins bien nantis, si cette limitation est trop élevée. Plus particulièrement lors des périodes électorales.

J'estime personnellement que ce niveau ne devrait pas être inférieur à ce qu'un électeur moyen serait prêt à consacrer comme ressource personnelle pour défendre ses idées politiques en autant que ce seuil ne soit pas d'un niveau tel qu'il atteigne l'autre seuil dont nous avons parlé plus haut, celui où un élu se sentirait lié par cette contribution pour favoriser indûment le donateur.


J’ai longtemps recherché les repères qui permettraient de fixer ce maximum. C’est une frontière qu’il n’est pas si simple à déterminer. Elle a d’ailleurs fait fréquemment l’objet de débats très intéressants jusqu’en 2012 à l’Assemblée nationale où une nouvelle loi la fit alors passer à 100 $. Quoiqu’il en soit, ce niveau est habituellement mis en équilibre avec une autre variable qui est celui de la contribution de l’État aux partis politiques.


Ainsi malheureusement, contrairement à ce que l’on avait cru au début, la loi de 1977 n’avait pas réglé tous les abus potentiels. Il y eut donc de nouveaux ajustements qui aboutirent à la loi de l’automne 2012. Redevenu alors député, je pus participer aux débats qui ont présidé à ces changements. Les circonstances de la vie entraînent parfois d’étonnants rebondissements comme vous le verrez dans la prochaine lettre sur la loi Drainville.



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