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Photo du rédacteurRobert Dutil

Le plébiscite

Dernière mise à jour : 29 avr. 2022

Les libéraux et la conscription

Le premier ministre canadien, William Lyon Mackenzie King



Louis-Alexandre Taschereau avait démissionné de la chefferie des libéraux après sa quasi-défaite de 1935 et le scandale des comptes publics. Il fut remplacé par intérim dès juin 1936 par Adélard Godbout, devenu dès lors premier ministre. Ce fut cependant de courte durée. Il déclencha une élection. Maurice Duplessis, à la tête du nouveau parti qu’il avait créé sous l’appellation de l’Union Nationale, fit élire 76 des 90 députés en obtenant de 57% des voix, réalisant ainsi son rêve d’accéder au poste de premier ministre. Ce faisant, il avait pour ainsi dire de facto écarté Paul Gouin et Édouard Lacroix de la politique provinciale. Bien que mortellement atteint par la défection de la plupart de ses députés, l’ALN tenta un retour à l’élection de 1939 sans succès et disparut peu après.


Bien qu’il n’eût pas l’intention d’appliquer l’ensemble des politiques préconisées par les dissidents libéraux ayant créé l’ALN, Maurice Duplessis sut choisir et appliquer les mesures populaires.

Et en particulier, il fit adopter, dès 1936, une loi sur le crédit agricole, la principale pomme de discorde entre Louis-Alexandre Taschereau et Édouard Lacroix en 1931. Il s’appropriait ainsi habilement le mérite de mettre en vigueur cette mesure phare.


Mais Maurice Duplessis n’ignorait pas le potentiel d’obstruction d’Édouard Lacroix. Il ne pouvait supporter une pareille menace. Il décida qu’il lui fallait miner sa crédibilité. C’est pourquoi il l’attaqua sans relâche. D’ailleurs, comme il l’avait prévu, celui qui était toujours député libéral de Beauce à Ottawa fut sollicité pour participer à la convention qui devait élire officiellement le nouveau chef des Libéraux provinciaux.


Les courses à la chefferie de cette époque ne suivaient pas un mode de sélection très démocratique. Le choix des délégués en particulier laissait place à la manipulation. Et Édouard Lacroix arriva finalement à la conclusion que les Libéraux haut placés dans la hiérarchie du parti ne souhaitaient pas qu’un député ayant travaillé contre eux à l’élection de 1935 devienne leur chef. D’autant plus qu’ils lui attribuaient, à tort ou à raison, leur défaite à l’élection qui suivit en 1936. Il ne se présenta finalement pas à cette convention de 1938 où Adélard Godbout fut confirmé au poste qu’il occupait déjà par intérim.


Édouard Lacroix avait également beaucoup à faire pour que survivent et se développent ses propres entreprises au sortir pénible de la pire récession de l’histoire. Il s’en tint donc davantage à son rôle de député fédéral et s’impliqua moins au provincial.


Toutefois Maurice Duplessis décida de déclencher les élections deux ans avant la fin de son mandat, soit en 1939. Les finances publiques n’étaient pas en très bon état. De plus de sombres nuages s’amoncelaient à nouveau au-dessus de l’Europe. On prévoyait une nouvelle guerre.


Édouard se tint à l’écart de cette élection. Les Libéraux réutilisèrent la très impopulaire conscription imposée par les conservateurs en 14-18 pour prétendre qu’en cas de victoire, ces derniers allaient l’imposer à nouveau au cours de la guerre qui s’annonçait. Ils se présentèrent donc comme le rempart anti-conscription contre les conservateurs d’où provenait Maurice Duplessis.


Le ministre Ernest Lapointe, lieutenant québécois du premier ministre canadien Mackenzie King, avait clairement affirmé que jamais il ne consentirait à la conscription et qu’ils n’appuieraient jamais un tel gouvernement.

Cette stratégie fonctionna et les Libéraux d’Adélard Godbout reprirent facilement le pouvoir.


La guerre éclata effectivement en septembre 1939. Et comme il fallait s’y attendre, cela rouvrit les vieilles plaies d’un Canada divisé entre les citoyens d’origine anglaise et les citoyens d’origine française. Les premiers préconisaient la participation à la guerre pour défendre l’Empire britannique et la démocratie; les seconds voulaient que le Canada demeure neutre, loin des sempiternels conflits européens.


Mais la guerre s’étendit au monde comme un feu de brousse et les deux camps y investissaient de plus en plus de ressources pour terrasser leurs adversaires. Le temps de la guerre totale était venu dans un monde où la puissance destructrice des armes dépassaient en tout ce que l’humanité avait connu jusque-là. L’aviation en particulier s’était développée au-delà des pires appréhensions. Elle permettait des attaques dévastatrices par-dessus et bien au-delà des lignes de front, s’attaquant tout autant aux cibles civiles que militaires.


Dans les circonstances, le Canada subissait d’énormes pressions de ses alliés pour que l’effort de guerre soit rehaussé au maximum. Bien qu’il fût depuis peu un pays indépendant, il faisait partie du Commonwealth. Les citoyens de souche britannique appuyaient cette augmentation de nos efforts. On vit réapparaître le spectre de la conscription qui avait déchiré le pays une première fois en 14-18 et qui s’apprêtait à le déchirer à nouveau en 39-45. Mackenzie King, le premier ministre du Canada, lié par ses promesses électorales, décida de faire appel au vote de tous les Canadiens pour trancher cette question dans ce que l’on appelle aujourd’hui un référendum, mais que l’on nomma alors « plébiscite ».


La question se lisait comme suit : « Consentez-vous à libérer le gouvernement de toute obligation résultant d'engagements antérieurs restreignant les méthodes de mobilisation pour le service militaire? »

Ce fut la consternation chez les nationalistes québécois. Un violent combat s’engagea alors au Québec contre cette façon de se désengager. Depuis 1941, la Winnipeg Free Press, le Globe and Mail et l’Ottawa Citizen demandaient de mettre le Québec au pas. Ils traitaient les Canadiens français de lâches, de traîtres et de racistes. Écœurés de ces attaques, des Québécois s’organisèrent. En 1942, Georges Pelletier, directeur du Devoir, Maxime Raymond, député de Beauharnois, J.B.Prince, André Laurendeau, Gérard Filion et Jean Drapeau, pour ne mentionner que les principaux personnages, mirent sur pied la Ligue pour la défense du Canada. Ils parcoururent la province et demandèrent aux électeurs de répondre NON à la question du fédéral.


Édouard Lacroix avait adhéré au Parti libéral du Canada et y avait été candidat comme député de Beauce depuis 1925 entre autres à cause de son rejet de la conscription de 1914-18. Et constater que son gouvernement tentait de renier cette promesse par un référendum le hérissait au plus haut point. Il s’engagea donc activement et publiquement pour le NON, à l’encontre de la position officielle de son parti.


En 1941, 125 000 Canadiens combattaient en Europe et en Asie. Et tous ces soldats étaient alors des volontaires. Une réponse positive à ce plébiscite serait suivie rapidement par la conscription des jeunes Canadiens. La guerre avait débuté en septembre 1939. Elle durait donc depuis une trentaine de mois, mais, au printemps 1942, l’issue en était encore incertaine. L’entrée en guerre des États-Unis le 6 décembre 1941 au côté des alliés, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor dans l’archipel d’Hawaï par l’aviation japonaise allait toutefois faire basculer le rapport de forces en leur faveur à la condition toutefois que toutes les forces disponibles se lancent dans la bataille.


Le plébiscite eut lieu le 27 avril 1942 après de nombreux débats houleux et acrimonieux.


Le résultat ne surprit pas les observateurs avertis : le Québec vota NON à 71 % et les autres Canadiens se prononcèrent pour le OUI à 80 %. Cela donnait globalement une majorité claire de plus de 60 % pour le OUI. Cette division créait cependant une situation sociale explosive.

Le premier ministre canadien comprit très bien qu’il lui faudrait naviguer prudemment pour éviter la violence civile, mais il ne pouvait pas non plus fermer les yeux sur les appels à la désobéissance en provenance de personnages publics. Il y eut un illustre exemple. Camélien Houde alors maire de Montréal, s’opposa à l’enregistrement obligatoire décrété par le gouvernement et encouragea les citoyens à faire de même. Le « Montreal Gazette » cria à la trahison. On arrêta le maire pour ses propos anti-conscription et on le jeta en prison sans procès. Il y passa les quatre années suivantes.


De son côté, Édouard Lacroix se joignit aux 8 autres députés libéraux qui quittèrent les rangs du Parti libéral pour former un nouveau parti anti-conscriptionnaire au fédéral sous le nom de Bloc populaire et s’engagea avec eux dans la lutte pour que ce plébiscite n’entraîne pas véritablement la conscription. Mackenzie King tergiversa quelque temps sur ses véritables intentions. Il déclarait de façon ambiguë : « La conscription si nécessaire, mais pas nécessairement la conscription. » Elle s’avéra nécessaire. Elle ne fut mise en vigueur qu’en 1944. Bien que plus tardivement que ne le souhaitaient les « OUI », elle n’entraînera pas moins un vaste mouvement de contestation au Québec qui haussa la tension à un niveau jamais atteint depuis la création du Canada en 1867. Le nombre total de soldats canadiens outre-mer atteignit finalement 618 353 militaires dont plus de 41 000 furent tués, et 53 000 furent blessés ou portés disparus.


Au cours de cette période effervescente, le 28 février 1944, l’épouse d’Édouard, Anna, bien qu’elle ait reçu les soins les plus modernes de l’époque, succomba au cancer à l’âge de 52 ans, entraînant un grand désarroi chez son mari épuisé. Il se lança néanmoins à corps perdu comme candidat du Bloc populaire lors de l’élection provinciale au Québec tenue le 8 août 1944.


Il fut l’un de quatre élus du Bloc populaire. Mais c’est l’Union Nationale qui profita du mouvement anti-conscription et qui reprit le pouvoir aux libéraux d’Adélard Godbout.

La déception fut cruelle pour Édouard Lacroix, mais il ne siégea jamais à Québec, car un autre événement l’ébranla encore davantage et entraîna son retrait de la vie politique. Le soir même de l’élection, des adversaires l’avaient brûlé en effigie derrière sa maison à Saint-Georges. Malheureusement le feu s’était propagé à la grange et blessa grièvement son employé Carmel Veilleux. C’en était trop. « Mon règne est fini » disait-il à son entourage. Il décida de démissionner.

Sur les champs de bataille, les alliés dominaient de plus en plus. Il fallut néanmoins une autre année sanglante et deux bombes atomiques avant d’anéantir les dernières résistances de l’Allemagne, du Japon et de leurs alliés.


La fin de la guerre scella aussi le sort du Bloc populaire. Édouard Lacroix était déçu de la performance de son nouveau parti, même s’il en était lui-même sorti victorieux. Et il était de plus en plus contesté dans son propre comté. Tous les liens bâtis au fil du temps avec les Libéraux d’Ottawa avaient été rompus. Il ne se réconcilia jamais avec eux. Ce fut la fin de la tumultueuse carrière politique de ce personnage haut en couleur, véhément, mais fatigué de ces continuels combats.



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