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Photo du rédacteurRobert Dutil

Les régions ressources

Dernière mise à jour : 7 juin 2022

Le gouvernement entre en scène

Mario Dumont, chef de l’ADQ



Entre 1975 et 1994, j’avais déjà consacré 10 ans de ma vie à siéger dans un conseil municipal, et 9 ans au poste de député de Beauce-Sud à l’Assemblée nationale du Québec. Je décidai alors qu’il était temps de retourner à la vie civile. Il s’agissait à ce moment-là d’une décision que je considérais comme irrévocable et définitive.


Le parti libéral perdit le pouvoir cette même année et le parti québécois forma le gouvernement entre 1994 et 2003. Au cours de cette période, il décida d’établir une politique de soutien aux entreprises manufacturières de certaines régions particulièrement touchées par le chômage. On les appelait les « régions ressources », car il s’agissait de territoires où le travail était concentré surtout dans le secteur primaire, c’est-à-dire les mines, la pêche et la coupe de bois. Quant au travail dans le secteur de la transformation de ces produits, appelé secteur secondaire, il se faisait souvent dans les nombreuses usines des régions appelées centrales.


Cette politique de soutien prit la forme de subventions salariales de 30% pour les nouveaux emplois manufacturés créés dans ces régions. Ce pourcentage élevé créa effectivement une forte incitation à l’embauche de travailleurs. Quant à la répercussion pour les régions non subventionnées, elle n’apparut que graduellement, mais avec de plus en plus d’intensité.


On constata bientôt que cette politique ne créait globalement que peu d’emplois nouveaux au Québec, mais qu’elle générait des déplacements des régions dites centrales vers ces régions dites ressources.

La conséquence inévitable, c’est que des entreprises existant depuis longtemps en régions centrales virent fondre graduellement leurs ventes, alors que celles des régions ressources virent monter les leurs. Les entreprises non subventionnées voyaient ainsi peu à peu disparaître leur clientèle. Un groupe d’entre eux me mit au fait de la situation dont je n’avais pas eu connaissance, l’entreprise où je travaillais n’étant pas touchée par cette politique. Mais pour celles qui étaient frappées, la situation était inquiétante. Certaines avaient déjà réduit substantiellement leurs activités, d’autres se voyaient graduellement acculer à la fermeture. La tension monta.


Un groupe s’organisa pour démontrer au gouvernement que ces subventions, en plus de générer de la concurrence déloyale, n’atteignaient pas ses objectifs globaux. Il y avait effectivement plus d’emplois dans ces régions subventionnées, mais une diminution équivalente dans les régions non subventionnées. On estimait alors, vers 2006, que 7,000 emplois s’étaient déplacés des régions centrales vers les régions ressources. Et on estimait qu’entre 40,000 et 50,000 emplois étaient sous pression dans les territoires limitrophes. À l’échelle du Québec, ce nombre ne représente qu’un peu plus de 1% du total des emplois, un impact qui ne paraissait pas si considérable. Mais l’impact négatif n’affectait en fait qu’une vingtaine de comtés (alors qu’une vingtaine d’autres étaient favorisés par cette mesure). Le nombre d’emplois sous pression touchait donc plutôt entre 5% et 10% du total des emplois des territoires affectés. Un impact majeur pour eux.


Mais, par-dessus tout, cette politique de subvention frappait ceux qui souvent avaient entrepris, investis, risqué pendant parfois des décennies dans la construction de leurs petites entreprises.


Ils voyaient maintenant disparaître le fruit de leur travail par une mesure arbitraire qui favorisait leurs concurrents grâce à de l’argent public.

Un gouvernement libéral remplaça le gouvernement de Parti Québécois à l’élection de 2003. Le groupe, que je joignis alors activement, leur fit des représentations pour abolir cette politique. On étudia, on délibéra, on proposa des manières de corriger cette situation, et on convainquit les nouveaux dirigeants. Ils s’apprêtaient à adopter des correctifs sous peu.


Mais une nouvelle élection en 2007 changea à nouveau l’équilibre des forces à l’Assemblée nationale : les libéraux formèrent encore le gouvernement, mais de façon minoritaire. Et les changements qu’ils allaient proposer au programme que nous contestions se heurtèrent au refus des autres groupes parlementaires. L’opposition du Parti Québécois bien sûr qui avait initié cette politique quelques années plus tôt et la défendait avec acharnement; mais aussi l’opposition de l’ADQ qui, pourtant, estimait qu’il fallait éviter la concurrence déloyale. Cette contradiction s’expliquait par le fait que son chef, Mario Dumont, était député du comté de Rivière-Du-Loup qui faisait partie des régions ressources et donc des bénéficiaires de ces subventions. Une position politique inconfortable.


Quant au parti libéral, son ardeur se trouvait complètement refroidi par la nouvelle situation. Sa priorité du moment consistait à ne pas être renversé par un vote de confiance à l’Assemblée nationale

et ainsi provoquer une nouvelle élection qui, selon les sondages d’alors, aurait été très désavantageuse pour eux. Il semblait évident que notre dossier venait d’être balayé sous le tapis.


De plus, pour ajouter l’insulte à l’injure, on apprit par communiqué à la veille de la fermeture pour la période des fêtes de 2007 que la ministre responsable du Conseil du trésor et ministre des Finances Madame Jérôme-Forget prolongeait le programme d’un an, c’est-à-dire jusqu’à l’automne 2009. Cette annonce prenait effet immédiatement et ne nous laissait aucune place pour nous objecter vigoureusement. Il est presque impossible de revenir sur une annonce faite du ministère des Finances. Les fonctionnaires s’y opposent à juste titre pour des raisons de prévisibilité, c’est-à-dire que les entrepreneurs savent que les décisions du ministère des Finances sont stables. Mais cette fois-ci, la stabilité en question prolongerait la souffrance injuste de nos entreprises d’un an. La stratégie des régions ressources consistait clairement à tenter de prolonger le programme jusqu’à la prochaine élection et ils manœuvraient habilement pour y parvenir. Il était clair que nous servions de monnaie d’échange pour maintenir le soutien temporaire des oppositions au gouvernement: ils s’étaient sans doute engagés à ne pas défaire le gouvernement à certaines conditions donc celle ne pas donner suite à notre dossier. Nos adversaires venaient encore de remporter une nouvelle manche.


Mon groupe et moi étions dans une colère noire. Et les entrevues que je donnai à la radio à la suite de cette annonce du ministère des Finances ne laissent aucun doute sur notre humeur du moment. Les épithètes choisies pour qualifier la ministre étaient insultantes et prononcées haut et fort. Mais, comme on s’y attendait, ça ne changea rien. Le rapport de force nous était défavorable.


Le gouvernement tenta de calmer le jeu en proposant de tenir une consultation. Nous savions que la manœuvre visait à « noyer le poisson », d’autant que des rapports très clairs existaient déjà sur l’aberration et l’injustice économique de maintenir cette politique.

De plus, nous n’avions ni les budgets, ni la structure administrative pour préparer les nouveaux mémoires que des commissaires à 250. $/l’heure allait recevoir, étudier, commenter avant de prendre tout le temps nécessaire pour pondre un soi-disant « nouveau rapport » avec des recommandations remaniées sans doute, mais déjà bien connues pour l’essentiel.


À ce petit jeu, on ne pouvait pas gagner : si l’on ne présentait pas de mémoires, on s’excluait nous-mêmes de facto de la consultation et allait être blâmés pour notre refus de collaborer au processus. Si on présentait un mémoire et allions le défendre, on cautionnait l’existence de cette commission inutile dont le seul objectif était de gagner du temps et de nous faire perdre le nôtre.


Je me rappelle une entrevue que je tins pour les médias le jour même où nous allions être reçus par les commissaires et où un journaliste me demanda comment je me sentais en ce « grand jour ». Je pense que ma réponse le surprit. Voici à peu près ce que je lui dis : « Un grand jour? » m’exclamais-je sur un ton offusqué, « quel grand jour. Nous avons dû travailler bénévolement pour préparer ce dossier, et nous allons devoir le présenter bénévolement à des commissaires payés 250. $/heure, qui seront très aimables et feront semblant de nous écouter, alors que nous n’allons rien leur apprendre qu’ils ne savent déjà. Et un jour, ils déposeront un rapport. Entre-temps nos entreprises continueront à souffrir d’une concurrence subventionnée par l’état. Alors non, ce n’est pas un grand jour. C’est un jour triste. »


On me rapporta plus tard que les interventions de l’ancien ministre libéral que je suis n’étaient pas du tout appréciées par les ministres concernés. Mince consolation.


De toute façon, on avait décidé depuis quelque temps de muscler nos interventions publiques. On avait même fondé un nouveau parti politique nommé « L’Union du Centre » que je présidais. Il avait comme objectif premier de lutter contre ce programme. Cette décision nous permit effectivement d’augmenter la pression. Mais il y avait un second objectif tout aussi crucial : faciliter la collecte de contributions financières. Les contributions financières à un parti politique permettaient alors aux donateurs d’obtenir de généreux crédits d’impôt. (Jusqu’à 75% des dons d’un montant inférieur à 100. $) L’union du Centre recueilli au total plus de 50,000. $. Personne de notre groupe n’était payé, mais il y avait bien des dépenses de publicité, de papeterie, et autres que l’on put dorénavant absorber. Des membres du gouvernement considéraient nos gestes comme une déclaration de guerre.


Nous leur confirmâmes que c’était bien le cas. Quant à perdre, on allait perdre en se battant, car il était maintenant clair qu’on ne parviendrait jamais à une solution satisfaisante dans ce dossier avec ce gouvernement minoritaire.

Il fallait attendre une meilleure situation. Nous désespérions d’y arriver. L’horizon était bouché.



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