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Photo du rédacteurRobert Dutil

Longitude

Dernière mise à jour : 7 juin 2022

Quelle heure est-il à … Greenwich ?

Le chronomètre de marine de John Harrison



Il fallut du temps aux navigateurs pour s’éloigner des côtes voguer en « haute mer », car ils devaient alors le faire sans repères terrestres. Tout les détournait d’une telle aventure : les tempêtes trop puissantes, les hauts-fonds invisibles, les navires trop fragiles, les superstitions mêmes, dont la crainte de tomber dans le vide d’une terre que l’on crut longtemps plate.


Mais, bien après qu’on eut découvert qu’elle était ronde, on ne savait toujours pas comment répondre à la simple question suivante: est-il possible de localiser la position d’un navire en haute mer sur cette vaste planète ?

Pour y arriver, deux mesures auraient suffi: la latitude et la longitude. On trouva bientôt une façon simple et relativement précise de connaître la latitude qui est la position sur l’axe nord-sud. Il suffisait de regarder dans le ciel à quelle hauteur se trouvait l’étoile Polaire pour l’hémisphère Nord ou la « Croix du Sud » pour l’hémisphère sud. Si l’étoile Polaire se situe presque parfaitement à l’horizon, vous êtes près de l’équateur. Si l’étoile Polaire se trouve juste au-dessus de votre tête, habillez-vous chaudement, car vous êtes au pôle Nord. Et si c’est La Croix du Sud qui s’y trouve au-dessus de votre tête, n’enlevez aucun vêtement, car vous êtes au Pôle Sud où il fait tout aussi froid.


Avec vos seuls yeux pour mesurer l’angle de l’une de ces deux étoiles, vous obtenez une précision d’environ un degré. Un degré représente à l’équateur une distance d’environ 100 kilomètres. Pas si mal pour situer un navire voguant sur une planète de 40,000 kilomètres de circonférence, mais nettement insuffisants pour les besoins de la navigation.


Vers 1730, des inventeurs réduisirent cette imprécision en améliorant le sextant, un instrument qui permettait une mesure de quelques minutes d’angles. On pouvait dorénavant établir la latitude d’un navire à moins de cinq kilomètres de sa position réelle. Un succès technique très impressionnant pour l’époque.


Il ne restait plus qu’à mesurer la longitude sur l’axe est-ouest. Cette ligne s’appelle «méridien». À la différence de la latitude (position nord-sud), qui bénéficie de l'équateur et des pôles comme références, il n’existe aucune référence naturelle pour la longitude. Elle est une mesure angulaire sur 360° par rapport à un méridien de référence, avec une étendue de —180°, vers l'ouest, à +180°, vers l'est.


Mais la façon de connaître cette fameuse longitude, on la cherchait depuis fort longtemps. Au 18e siècle, même les plus grands érudits de l’époque doutaient encore qu’il exista une solution à ce problème. L’un d’eux, le célèbre savant anglais Issac Newton s’y était penché sans succès.


On savait pourtant qu’une simple donnée permettrait de l’établir facilement: il suffirait de connaître l’heure sur le navire et de la comparer à l’heure d’un endroit fixe du globe. L’heure sur le navire était facile à trouver en mesurant la hauteur du soleil ou la position des étoiles autour de l’étoile Polaire. Mais voilà, c’est là que se nichait justement l’insurmontable difficulté. Pour savoir quelle heure il était à un endroit fixe du globe, il fallait que le navire la mesure grâce à un instrument fiable. Cependant, vers 1700, les horloges fonctionnaient soit avec un balancier qui se déréglait sur un sol mobile tel le pont d’un navire, soit avec un ressort dont la précision exigeait un raffinement alors inatteignable pour diverses considérations techniques. L’une de ces difficultés concernait les variations de température inévitables en haute-mer.


Sur ces navires, on ne savait donc pas comment amener les horloges à faire ce pour quoi elles existent pourtant: donner l’heure exacte.

Les astronomes de leur côté poursuivaient leur travail en cherchant minutieusement sous la voûte étoilée une méthode inédite d’y parvenir. Ils étaient persuadés que la solution se trouvait dans l'observation et la connaissance de la mécanique céleste, celle-ci étant d'une grande précision. Tous les astronomes la cherchaient, en se basant sur la lune, les planètes et leurs satellites, ou sur d’autres astres. Ils dressèrent en conséquence des tables de prévision de position de ces objets célestes.


Entre-temps, un terrible événement précipita les choses: le désastre naval de Sorlingues du 22 octobre 1707, près de la Grande-Bretagne où quatre vaisseaux de guerre britannique heurtèrent des récifs et coulèrent corps et biens, entraînant dans la mort l’amiral Clowdisley Shovell qui dirigeait la flotte et environ 2,000 marins et membres d’équipage. Ce désastre, l’un des pires de l’histoire maritime britannique, avait justement été causé par un mauvais calcul de la longitude à la suite d’une tempête où les navires avaient perdu leurs points de repère. Ainsi, face à un tel désastre et aussi devant le nombre d'accidents maritimes dus à l'absence de méthode suffisamment précise pour déterminer la position est-ouest des navires, ce dossier devint une affaire d’État. Sous la pression des commerçants et armateurs, le parlement britannique s’en mêla, adoptant en 1714, une loi appelée « The longitude Act ». Cette loi promettait 20,000 livres de récompense à celui ou ceux qui résoudraient enfin ce problème majeur pour la navigation en haute mer. Ce montant équivaut à plusieurs millions de dollars aujourd’hui. Attirée par une telle récompense, la recherche de la meilleure technique pour son calcul devint acharnée.


Les astronomes poursuivirent avec ardeur leur quête, mais leurs méthodes avaient toutes le même point faible pour un marin : les conditions atmosphériques étaient rarement idéales sur un bateau aux mouvements par définition imprévisibles. À quoi s’ajoutait la complexité des différents mesures et calculs.

Cette piste ne répondait donc pas aux conditions demandées par la commission du Longitude Act chargée d'examiner les différents projets et réalisations en compétition pour gagner les 20 000 £.


Comme mentionnée plus haut, la méthode la plus simple consisterait à déterminer la différence entre l’heure solaire locale, celle du navire, et l'heure d'un méridien de référence. Avec ces deux données connues, on n’a qu’à faire le calcul suivant :


Différence de temps en secondes divisées par 86 400 secondes (nombre de secondes en 24 heures) multipliée par 360 degrés. Ce calcul donne exactement le nombre de degrés en longitude qui nous sépare du point de référence qui fut retenu, celui du méridien passant par Greenwich près de Londres en Angleterre.


Par exemple, si la différence de temps est de 3 600 secondes (c’est-à-dire 1 heure), on peut calculer : (3 600 sec. / 86 400 sec.) X 360 degrés = 15 degrés. Le navire se situe à 15 degrés de Greenwich. Avec cette méthode, l’utilisateur n’a pas besoin de tables.


Le prix requérait la détermination de la longitude à moins de ½ degré, ce qui veut dire 30 milles nautiques. Issac Newton lui-même avait mentionné, par écrit, son scepticisme quant à de la possibilité de fabriquer un chronomètre suffisamment précis pour y arriver. Il pensait que les solutions astronomiques demeuraient la meilleure façon de faire. Mais finalement il se laissa convaincre que des améliorations au chronomètre pouvaient finalement arriver à un résultat acceptable. Quoi qu’il en soit, les participants avaient droit de proposer la méthode de leur choix. Le comité pour la longitude fut formé de membres recommandés par Isaac Newton lui-même et son ami l’astronome Edmond Halley.


Un horloger autodidacte du nom de John Harrison soumit une proposition à Edmond Halley, un des membres du comité de la longitude qui le référa à un horloger réputé du nom de Georges Graham. Ce dernier fut si impressionné par sa proposition qu’il décida de la patronner et lui prêta l’argent pour la fabrication d’une première horloge. Il fallut 5 ans à John Harrison pour y arriver et il l’améliora plusieurs fois par la suite en mettant en application les travaux de Christian Huygens et de Robert Hooke sur le ressort à spirale et en construisant un nouveau type de mécanisme. De plus, il utilisa des alliages de laiton et d'acier afin de contrôler les dilatations. Mais l’extrême minutie de Harrison entraîna des délais de plusieurs décennies. Finalement, son chronomètre de marine H4 avait, en 1755, une précision de ±4,5 secondes sur 10 jours. Il était trois fois plus précis que ne l’exigeait le concours. Malheureusement, Issac Newton, mort en 1727, ne vit pas ces magnifiques résultats.


Entre-temps, le concurrent de notre horloger, l’astronome Nevil Maskelyne en était arrivé à utiliser des tactiques que l’on qualifiera diplomatiquement de déloyales pour contrer notre horloger, car ses propres efforts avec les astres ne donnaient toujours pas les résultats requis par le concours. Il voulait gagner du temps, mais ce fut peine perdue. Plusieurs tests concluants furent effectués avec succès en utilisant le 4e chronomètre (H4) de Harrison sur des parcours maritimes importants. Malgré cela, cet autodidacte sans éducation issu de la campagne n’obtint jamais le respect de l’aristocrate Nevil Maskelyne.


Son 4e chronomètre, le H4 était d’une grande beauté. Il n’avait que 5 pouces de diamètre et pouvait être transporté n’importe où. On refusa néanmoins que le célèbre navigateur, Thomas Cook, apporte avec lui le seul chronomètre de cette précision lors de son premier voyage autour du globe, ce qui l’obligea à calculer sa longitude à l’ancienne.

Mais au cours des voyages subséquents, il bénéficia d’une copie du H4, appelé K1, et put se guider avec assurance sur toutes les mers du monde, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.


Harrison se vit attribuer la récompense lorsque Cook revint et obtint le grand prix en 1773. Il lui fut toutefois décerné par le parlement, au lieu du comité de la longitude qui devait normalement le lui remettre, mais s’y refusait obstinément. D’ailleurs ces derniers poussèrent la mesquinerie en ne reconnaissant jamais officiellement le succès de John Harrison.


Mais Maskelyne fut finalement forcé de conclure que sa méthode utilisant la distance de la lune avait ses propres problèmes. Entre autres, elle ne pouvait pas fonctionner lorsque la lune se tenait de l’autre côté du monde environ 13 jours par mois. Cependant, son système de positionnement astronomique, bien que moins précis et plus difficile d’utilisation, continua à être le plus utilisé pour des besoins restreints, car les coûts d’un chronomètre demeurèrent longtemps très élevés. À cette époque, toutes les pièces étaient fabriquées une seule à la fois, de façon artisanale.


Mais, sans la précision du chronomètre de marine de John Harrison, et la précision de navigation qu'il apporta, il est vraisemblable que la suprématie de la Royal Navy, et, par voie de conséquence, celle de l'Empire britannique, n'aurait pas eu lieu. Avec un tel outil, les navires britanniques bénéficiaient d'une navigation bien plus fiable que celle de leurs adversaires portugais, hollandais et français.


John Harrison mourut trois ans plus tard, en 1776, à l’âge de 83 ans. Il est célébré comme un martyr par les fabricants d’horloges.



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