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Photo du rédacteurRobert Dutil

Mondragon

Dernière mise à jour : 9 juin 2022

Le plus grand groupe de coopératives de travailleurs au monde!

Father José Maria Arizmendiarrieta, fondateur des coopératives Mondragon en 1956.


J’entendis parler des coopératives de travailleurs « Mondragon » pour la première fois en 1980 par l’un de nos professeurs de 2e cycle universitaire au MBA. Il avait pris l’initiative d’inclure l’étude de ces projets dans son cours. Elles avaient été fondée en 1956 dans une petite ville d’environ 9,000 habitants au nord de l’Espagne du nom de Mondragon, dans la région basque, par un prêtre catholique, Father José Maria Arizmendiarrieta (1915-1976).

Ces coopératives œuvraient en fabrication industrielle et le projet connaissait un succès remarquable après environ 25 ans d’existence. Elle comprenait alors déjà 42 coopératives et employait plus de 20 000 travailleurs.

Il s'agissait d'un résultat d’autant plus étonnant que ce projet avait fait son apparition dans une région suspecte aux yeux des autorités espagnoles dû à la volonté séparatiste de ce groupe linguistique particulier. Les Basques faisaient partie des vaincus de la guerre civile qui avait ensanglanté le pays entre 1936 et 1939.


À la tête des Nationalistes espagnols, le général Franco l’avait emporté sur ses adversaires Républicains en 1939 grâce entre autres à l’appui de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Il résista néanmoins aux demandes de ses alliés belliqueux d’entrer en guerre à leurs côtés dans le second conflit mondial qui succéda immédiatement à cette guerre civile. Cette neutralité lui permit, après leur cuisante défaite en 1945, de maintenir son pouvoir dictatorial en Espagne jusqu’à sa mort 30 ans plus tard, en 1977.


En 1956, lorsque Father José Maria fonda la première coopérative, la situation économique et politique n’était pas au mieux. La législation ne facilitait pas la création de ce genre d’entreprise; il fallut faire montre de stratégies et de persévérance pour y arriver.


De mon côté, j’avais oublié cet épisode de mes études sur les coopératives de travailleurs de Mondragon. Vingt ans plus tard cependant, en 2002, alors que je dirigeais les deux usines françaises du Groupe canadien Canam en France, je visitai une entreprise espagnole dans le même domaine que Canam : la fabrication de poutrelles et de structures d’acier. Nous souhaitions trouver des partenaires d’affaires. En entrant dans l’usine, j’appris qu’elle faisait partie du groupe Montdragon. J’ouvris l’œil. Extérieurement, rien ne distinguait celle-ci d’une autre usine d’acier. Les machineries se ressemblaient, la production se déroulait de façon ordonnée. On ne s’apercevait pas que nous étions à l’intérieur d’une usine coopérative de travailleurs.


Je m’enquis de leur taille. Le groupe avait encore progressé. Il poursuivait son étonnante progression contre vents et marées, même dans le cadre très compétitif de l’Union européenne dont l'Espagne faisait partie depuis 1988. En 2002, 60,000 personnes y travaillaient.


Finalement le projet d’alliance entre nos deux groupes ne se réalisa pas. À la fin de mon mandat, je revins au Canada et j’oubliai à nouveau Mondragon. Près de 20 ans passèrent. Aujourd’hui toutefois, Internet permet de trouver toutes les informations souhaitées sur à peu près toutes les organisations dans le monde. Je les y recherchai et les trouvai facilement. Le groupe Mondragon était devenu depuis lors le plus grand groupe de coopératives de travailleurs de la planète. Il compte aujourd’hui 289 coopératives et 74 000 employés. La curiosité m’amena à approfondir les raisons de ce succès rare dans les coopératives de travailleurs. Voici ce qu’il en est ressorti.


On trouve les premières documentations concernant une coopérative de consommateurs en 1884, mais sans détails suffisants.

Au début du 20e siècle toutefois, une importante étude effectuée par les prestigieux scientifiques sociaux Beatrice et Sidney Webb porta un jugement négatif sur les coopératives de travailleurs. Ils constataient que ce genre d’association qui commençait comme une alternative au système capitaliste échouait ou cessaient d’être des démocraties de producteurs.

Dans le cas de succès financiers importants, ils devenaient une association de capitalistes, faisant des profits pour eux-mêmes en engageant des employés en dehors de leur association, éliminant graduellement ainsi l’aspect propriété collective de l’entreprise, et redevenant une entreprise ordinaire avec des propriétaires et des employés.


Mondragon cependant établit dès ses débuts une structure et des politiques financières qui empêchèrent cette dérive de survenir : les coopératives ne purent émettre aucune action aux coopérants et imposèrent un maximum de 10% au nombre d’employés non-membres, évitant ainsi de créer deux classes de travailleurs.


De plus, puisque cette participation au membership de la coopérative ne pouvait pas être transférée et qu'aucune action, émise, les membres ne pouvaient pas tirer profit d’une vente de participation aux personnes de l’extérieur. Et puisque le nombre d’employés non-membres était limité à 10 %, les coopératives en forte croissance devaient intégrer rapidement les nouveaux employés dans leurs effectifs. Toute tentative d’agir à l’encontre de ces principes entraînait une violation de contrat d’association avec la composante financière de la coopérative et entraînait le risque d’une expulsion du groupe.


Il était évidemment possible pour des coopérants qui estimaient mériter mieux par leurs performances exceptionnelles, de quitter le groupe et de créer leur propre entreprise concurrente à leur profit. Il semble toutefois que le bon climat interne d’un côté et le risque important qu’implique de se lancer en affaires d’autre part n’entraîna pas ce genre de schisme.


Un autre risque bien identifié des entreprises en général, incluant aussi les coopératives, concerne leur sous-financement. Une telle situation les rend vulnérables aux événements imprévus. Ce sous-financement vient souvent de l’utilisation des liquidités disponibles pour verser des bonifications aux employés lorsque les profits sont au rendez-vous afin d'augmenter leur bien-être immédiat. Ce choix affaiblit non seulement les chances de survie à long terme, mais également la rapidité de croissance des organisations. Mondragon élimina donc, à partir de 1965, les sorties de fonds au-delà des ententes salariales et put ainsi les réinvestir à l’interne. Si tel n’avait pas été le cas, il est probable qu’il aurait été impossible de créer le complexe de coopératives dynamiques et en forte croissance d’aujourd’hui.


Le fondateur insista de plus pour créer une organisation interne de financement qui soit en mesure de pourvoir en liquidité les diverses coopératives au fur et à mesure de leurs créations ou de leur acquisition et tout au long de leur existence.

Ses lectures l’avaient convaincu qu’une banque des coopératives était indispensables pour assurer le succès du mouvement. La CAJA LABORAL (Banque du travail), fondée dès 1959, fut donc la première coopérative de services de Mouvement Mondragon.

La Caja Laboral constata qu’il fallait au moins 3 ans pour enraciner une coopérative, dépasser le point de rentabilité et commencer à générer des profits. Elle constata de plus qu’il fallait six fois plus de temps pour intégrer une entreprise privée lors d’une acquisition par rapport à une coopérative créée par le groupe dès le début.


Évidemment, ces initiatives généraient souvent des pertes pour la Caja à leurs débuts, mais elles étaient récupérées grâce aux profits ultérieurs. Au cours des 25 ans qui suivirent, cette Banque coopérative a cru et est devenue la plus profitable institution d’épargne en Espagne; elle a joué un rôle central dans le renforcement du groupe Mondragon.


Ces diverses décisions et institutions forment les assises sur lesquelles s’est bâti le complexe que l’on connaît aujourd’hui. Mais à cela, il faut ajouter une panoplie de groupes ou institutions adjacents qui ont renforcé le tout. Mondragon a mis en place diverses inventions sociales et développé des processus sociaux qui ont permis de surmonter quelques obstacles majeurs à l’adoption des coopératives de travailleurs dans le passé.


Tout d’abord, la démocratie. Au groupe Mondragon, le pouvoir suprême appartient à l’Assemblée générale de la coopérative dans laquelle tous les membres ont non seulement le droit de vote, mais l’obligation de l’exercer. Un Conseil de gouvernance est élu par cette assemblée générale formée de tous les membres, et chaque d’eux n’a droit qu’à un vote. La coopérative distingue bien la différence entre la gouvernance et la gestion des opérations. Un Conseil social, une innovation intéressante, a également été créé; ils sont élus par les membres chaque deux ans pour un mandat de quatre ans. C’est ce conseil social qui nomme le dirigeant de l’entreprise pour quatreans, à moins d’être démis de ses fonctions par le conseil en cours de mandat.

Par ses statuts, le droit de grève n’existe pas dans la coopérative, bien qu’elle en connût une douloureuse au début des années 1970 à la suite d’un grave différend entre le Conseil social et le Conseil de gouvernance.

Cette crise entraîna des mises à pied et une importante tension. Il y eut des critiques sévères des Unions externes et même de l’Église Catholique pour qui le droit de grève est un droit fondamental, y compris à l’intérieur d’une coopérative.


Il fallut quatre ans pour réintégrer les meneurs de la grève et résoudre cette pénible question. Cette situation fit évoluer le rôle du Conseil social. Ainsi, ces différends, bien que rares, mais probablement inévitables dans toute organisation humaine d’une taille importante, devaient dorénavant être résous par un appel à l’Assemblée générale où tous les membres de la coopérative prenaient la décision définitive. Il était difficile pour quel que groupe que ce soit de contester la légitimité de l’Assemblée générale. Quant au Conseil, il devint davantage un conseil aviseur sur la prévention des accidents, la santé, le système de rémunération, l’administration des services sociaux et personnels.


En plus de la démocratie, il y eut, en second lieu, l’éducation, une autre grande préoccupation du fondateur. Dès les débuts, Father José Maria négocia une entente avec l’université de Zaragoza en Aragon où les étudiants de Mondragon pouvaient étudier à distance. On y focalisait particulièrement sur les conflits entre le travail et le capital, sur comment réformer l’entreprise privée, sur l’autogestion et la participation des travailleurs à la propriété de l’entreprise. Mais la formation de compétences techniques était également à l’ordre du jour, de même que la recherche et le développement, les nouvelles initiatives et l’entrepreneuriat.

Enfin, le renforcement du projet vint clairement des décisions qui ont amené Mondragon à bâtir une Fédération de coopératives au lieu de coopératives séparées les unes des autres.

Cette fédération partageait dorénavant des services, et apportait un appui mutuel à ses diverses composantes.


L’une des résultats de ce soutien moral fut de garantir la sécurité d’emploi des membres, en contribuant à une caisse commune et en permettant le déplacement des membres d’une coopérative à l’autre. La plupart des coopératives bénéficièrent de ce support mutuel. L’autocritique y était la bienvenue; l’objectif commun était l’amélioration continue du groupe.


Le taux de survie des coopératives Mondragon après 5 ans d’existence atteint 97%, un niveau bien au-dessus des statistiques habituelles de nouvelles entreprises qui se situe plutôt aux environs de 50%.

Il n’existe pas d’équivalents du groupe Mondragon dans le monde. Il semble qu’il soit difficile d’exporter ce genre d’organisation.

Le groupe a cependant eu une grande influence sur certains aspects importants des relations propriétaires-employés dans le monde.


Les échanges furent particulièrement nombreux avec les États-Unis. Ce rayonnement invisible imprègne bien des organisations sans qu’ils en prennent consciemment connaissance. En ce sens, l’influence du groupe de Coopératives de travailleurs de Mondragon est sans doute plus grande qu’il n’y paraît pour faciliter la collaboration et atténuer la confrontation dans le monde du travail.



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