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Photo du rédacteurRobert Dutil

Penny Black

Dernière mise à jour : 7 juin 2022

L’invention du timbre-poste

Rowland Hill et le timbre-poste.



Il y a environ trois mille ans, les humains firent un pas de géant en inventant l’écriture. Les civilisations qui bénéficièrent de cette avancée purent dorénavant conserver et transmettre les informations les plus diverses sur un support physique. Cette remarquable découverte fut bientôt utilisée par les puissants de ce monde.


Un des exemples les plus impressionnants nous vient du conquérant mongol Gengis Khan au 11e siècle de notre ère. Son empire ne fut ni le premier ni le seul réseau de poste du monde, mais à son époque, il fut le plus vaste. Il prenait naissance sur les bords du Pacifique, en Chine, puis en Mongolie, traversait les steppes jusqu’aux frontières de l’Iran et de l’Irak actuel et s’étendait jusqu’aux rivages de la mer noire.


Il parcourait 50 à 60 000 km mobilisant quelque 200 000 chevaux et des dizaines de milliers d’hommes pour acheminer non seulement les biens, mais aussi les informations nécessaires à la gestion d’un si vaste empire.

Est-il nécessaire de rappeler qu’à cette époque, la population ne savait ni lire ni écrire et ne participa pas de longtemps à cette révolution? Il fallut plusieurs siècles avant qu’une proportion croissante des humains apprenne à déchiffrer les lettres et puisse s’échanger des messages écrits. Mais même la capacité de lire et d’écrire ne suffisait pas à faciliter ces échanges. Il fallait en effet pouvoir expédier les lettres et colis aux destinataires de leur choix, à un prix raisonnable et dans un délai de livraison acceptable. Une utopie, croyait-on alors.


Toutefois, au début de 19e siècle, à Londres, en Angleterre, une minuscule innovation toute simple qui ne nécessitait qu’un peu de papier, de la colle et une machine à imprimer vit le jour. Son génie ne résidait donc pas dans sa technologie, mais dans son organisation. Sa mise en place fut facilitée par une réforme électorale adoptée en Angleterre en 1832 à la Chambre des Communes. Cette réforme renforçait la représentation des nouvelles agglomérations nées de la révolution industrielle au détriment de célèbres bourgs dont les sièges étaient détenus par une noblesse sclérosée. Les nouveaux parlementaires amenèrent avec eux des idées nouvelles et un dynamisme inconnu jusque-là dans l’univers politique de la vieille Angleterre. Ce fut le cas d’un certain Robert Wallace qui, dès son accession au parlement, s’attaqua à un service aristocratique dépassé : l’office postal.


Voici d’ailleurs le témoignage d’un leader irlandais alors célèbre dans toute l’Europe, datant de cette époque et relatant le coût d’un simple courrier.


Daniel O‘Connell affirmait qu’une lettre pour l’Irlande et la réponse à cette lettre coûtaient à des milliers de ses compatriotes beaucoup plus que la cinquième partie de leur salaire hebdomadaire.

D’autres sources confirment que ce coût s’élevait, en 1838, à peu près à 85 centimes-or, soit les trois quarts du salaire journalier d’un ouvrier.


Au surplus, ce montant prohibitif non seulement décourageait le recours à la poste par les usagers, mais aussi encourageait les transports frauduleux à un moindre prix, et faisait ainsi échapper aux activités de la poste du Royaume-Uni près de la moitié des correspondances en circulation, soit, en 1838, 75 millions de lettres.


Il est important de savoir que le système fonctionnait alors sur le mode appelé « port dû », c’est-à-dire que la livraison devait être payée par celui qui recevait le courrier. Ce système comportait un effet pervers désastreux. Le destinataire pouvait refuser de le recevoir et donc ne pas payer cette livraison non sollicitée. La conséquence financière pour le service de la poste était désastreuse, car le coût aller-retour d’une quantité importante de plis transportés pour rien s’ajoutait à ses charges. De plus, le système du « port dû » exposait les agents postaux chargés de distribuer le courrier aux agressions des malfaiteurs qui savaient que ceux-ci circulaient avec les fortes sommes qu’ils avaient perçus des destinataires.


Robert Wallace obtint la création d’une commission qui convoqua et entendit, entre autres, un ardent propagandiste de la réforme postale, Rowland Hill. Celui-ci ne proposa rien de moins qu’une véritable révolution : il prônait l’abolition des régimes compliqués de taxes multiples et élevées payées par le destinataire. Il les remplaçait par un régime simple de taxe uniforme d’un niveau de prix modique et prépayée par l’expéditeur en apposant simplement sur l’envoi un petit papier adhésif appelé « timbre ». Le nouveau système serait dorénavant désigné sous l’appellation « port payé ».


Ce prix uniforme ne tenait plus compte de la distance parcourue par l’envoi, car on avait calculé que le coût de transport proprement dit d’une lettre était extrêmement faible. Il ne coûtait pas plus de 1/36ième de Penny pour acheminer une lettre de Londres à Édimbourg, la plus longue distance d’un envoi au Royaume-Uni. Les coûts élevés ne venaient donc pas du transport, mais de tous les autres coûts entourant le système, soient : les frais de réception, de perception, de taxation et de distribution des lettres et ainsi de suite. C’est à eux qu’on s’attaqua dorénavant.

En bref, le premier timbre-poste venait d’être inventé. On le nomma « le Penny Black », car il coûtait 1 penny et c’est sur fond noir qu’on y avait imprimé le profil de la jeune reine Victoria.

Rowland Hill lui-même fut étonné de son succès : il s’en vendit 68 millions d’exemplaires dans la première année de son utilisation en1840. Le « penny Black » et la réforme qui l’accompagnait diminua à ce point le coût du service postal que celui-ci devint accessible à toutes les couches de la société, riches ou pauvres. Bien qu’il soit difficile d’estimer la valeur relative d’un bien ou d’un service sur de longues périodes, il est évident que cette diminution des prix dépassa 90% par rapport à ce qu’il était auparavant. Selon certaines estimations, cette réduction atteignait même plus de 98%.


Tel un virus contagieux, la réforme postale de Rowland Hill se répandit en quelques années dans l’Empire britannique, le plus grand de l’histoire de l’humanité. Les Anglais, ce petit peuple insulaire ambitieux du nord de l’Europe dominait des territoires surpassant même la taille de l’empire mongol. Leur plus grand exploit fut la conquête des mers. Ils avaient su développer des outils de navigation d’une grande précision. À son apogée, le soleil ne se couchait jamais sur cet empire. Et le timbre-poste s’imposa partout où flottait le drapeau de l’empire, l’Union Jack.


Puis cette contagion envahit le monde entier en quelques décennies. Mais vous ne serez sans doute pas surpris d’apprendre que partout où elle fut implantée, elle ne dépassa pas les frontières de chacun des pays, faute d’entente internationale à cet effet. Les ententes, lorsqu’il y en avait, se faisaient de façon bilatérale, d’un pays à un autre. Il régnait entre les autres pays le même désordre et la même bureaucratie qu’avait connu le Royaume-Uni avant la réforme.


Cela fit ressortir la nécessité d’établir des règles pour tous les pays du monde. Les États-Unis, devenus au cours du 19e siècle un joueur de plus en plus important du fait de la très forte croissance de sa population et de son économie, s’impliquèrent avec le Royaume-Uni et d’autres pays intéressés en vue de créer un organisme à cet effet. Une importante conférence se tint à Paris en 1863. Les participants étudièrent trois questions essentielles : l’uniformité de poids, l’uniformité de taxes, et la simplification des comptes entre administrations. Ils adoptèrent de façon unanime 31 articles détaillant ces principes.


Elle fut suivie en 1874 par le congrès de Berne qui scella la création de « L’Union générale des postes », la seconde plus ancienne entente internationale du monde (la première étant « l’Union internationale du télégraphe » créée en 1865). Aujourd’hui, cet organisme porte le nom plus précis de « Union Postale Universelle (UPU) ». Son article 1 mérite le qualificatif de révolutionnaire. Il se lit comme suit :

« les pays entre lesquels est conclu le présent traité formeront, sous la désignation d’Union générale des Postes, un seul territoire postal pour l’échange réciproque des correspondances entre leurs bureaux de poste. »

Pour la poste, la planète s’unifiait totalement. La poste devenait, avec le télégraphe, la première mondialisation à se concrétiser dans l’histoire de l’humanité.


Cette entente connut un tel succès que, peu de temps après sa mise en vigueur, la plupart des pays non membres au départ demandèrent d’y adhérer. Et la poste connut un siècle de progrès incessant au fur et à mesure des innovations spectaculaires que la révolution industrielle entraînait dans son sillage. Les voies ferrées, les navires à vapeur, et bientôt les aéronefs participèrent à tisser une toile de communications d’une efficacité inconnue jusque-là dans l’histoire de l’humanité.


L’utopie était devenue réalité. Le privilège des Puissants était descendu du ciel. Il bénéficiait désormais non seulement aux affairistes, mais aussi aux amis et aux amoureux du monde entier. La plus parfaite illustration de ce succès apparaît dans les lettres d’amour les moins illustres, mais les plus humaines que ce sont échangées depuis 1840 des millions d’humains séparés par les circonstances de la vie : du soldat sur le front à la jeune fille esseulée, du réfugié fuyant la famine à la mère inquiète, bref de tout ce qui le hasard peut réserver d’inhumain à l’humanité. Ces millions de lettres rangées dans les cachettes de tant de maisons ont adouci la vie de tant de gens.


Et c’est la création du « Penny Black », un simple timbre-poste, qui avait mis le feu aux poudres. Une innovation banale, un petit morceau de papier imprimé enduit de colle, imaginée par un anglais du nom de Rowland Hill en 1840.



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