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Photo du rédacteurRobert Dutil

Ukraine - L'illusion référendaire

Dernière mise à jour : 23 sept. 2022


Moscou, la place Rouge, cathédrale Saint-Basile



La précédente lettre propose d’unir tous les pays libres sous un parapluie de défense unique, à l’exemple de l’OTAN, pour éviter qu’une dictature ne s’attaque à l’un d’eux. On pourrait ainsi éviter une nouvelle guerre Russie-Ukraine où un pays libre, mais non membre d’une alliance militaire, doit se défendre seul contre une dictature plus puissante, et au risque de disparaître. Un tel organisme permettrait d’éviter la diminution du nombre des pays libres dans le monde.


Ce parapluie défensif ne règle toutefois en rien la montée en puissance de dictateurs à l’intérieur même de ces démocraties. Il y a effectivement dans tous les pays du monde des citoyens habités par cette noire ambition.

Doit-on s’en étonner? L’expérience nous démontre que, sans institutions solides dont les fondements doivent être largement appuyés par les citoyens, les violents terrassent les paisibles, les tricheurs détroussent les intègres, les profiteurs abusent des naïfs.


Pour ces personnages odieux, accaparer le pouvoir politique et l’exercer à leur profit, de façon brutale, constitue leur ultime objectif. Ils y consacrent tous leurs efforts. Ils détruisent tous ceux qui s’y opposent. Aucune cruauté ne les arrête. La vérité elle-même ne constitue pas, contre eux, un rempart efficace; l’histoire de l’humanité abonde de ces tyrans sans foi ni loi.


Ce qui est nouveau toutefois, c’est qu'à la fin du 18e siècle, de nouvelles institutions sont apparues, ont grandi et inversé en partie cette tendance.


Les États-Unis naissants avaient pris la tête de ce mouvement. Ils se sont donné des institutions et une Constitution écrite qui ont pu résister à ces empoisonneurs. La liberté prenait un envol improbable. Deux cent trente années et 56 élections présidentielles plus tard, jamais un dictateur n’a pu s’emparer de ce poste.

Évidemment, la force des institutions trempées dans le feu d’une histoire turbulente a beaucoup aidé à les raffermir. Les États-Unis jouissent d’une séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, qui, sans être parfaitement étanche, assure une indépendance de la justice, ce qui est crucial pour arbitrer les disputes parfois fort violentes de partisans opposés.


Et aujourd’hui, selon « Freedom House », plus de 80 des quelque 200 pays existants jouissent de cette enviable liberté. Les pays libres modernes ne prétendent pas à la perfection, mais ils préservent, pour leurs citoyens, un espace d’autonomie où ils peuvent s’exprimer et s’épanouir. Et même si le chemin à parcourir pour atteindre cet idéal demeure long, sinueux et semé d’embûches, cet espoir aujourd’hui nous anime.


Il faut cependant rappeler que, malheureusement, cet avenir peut être subitement anéanti, même dans les pays qui sont parvenus à le réaliser. Le chemin de la liberté va dans les deux sens; ce qui a été acquis demeure fragile. Le vent peut arracher cette fleur délicate.


Il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais je m’en tiendrai au mode d’amendement des constitutions, puisqu’il s’agit d’un point d’entrée très utilisé par les autocrates potentiels.


Aux États-Unis, pour qu’un amendement soit adopté, il faut l’accord de 75 % des États et de 60 % des élus de chacune des deux Chambres du Congrès fédéral. La modifier est donc possible. Ils l’ont d’ailleurs fait à 26 reprises au cours de leur histoire. Mais c’est difficile, ainsi que le souhaitaient les Pères de la fédération.

Dans leur cas, un référendum ne pourrait en aucun cas la modifier. Mais malheureusement, ailleurs dans le monde, on constate que de nombreux pays ont adopté ce mode de validation pour leurs propres amendements, même si cette méthode peut et est souvent manipulée par ceux-là mêmes qui veulent la modifier en leur faveur.


La montée en puissance de Vladimir Poutine est particulièrement éloquente à cet égard. Après la chute de l’Union soviétique (URSS) en 1991, la Russie a adopté une Constitution moderne sur le modèle présidentiel, inspiré des pratiques utilisées dans de nombreux pays.


Vladimir Poutine ne pouvait obtenir plus de deux mandats consécutifs. Pour garder le pouvoir, il devait d’abord contourner cette limitation de durée au poste de président.

Ce modèle vient également des États-Unis. Les 31 premiers présidents de ce pays n’ont jamais exercé le pouvoir plus de huit ans, soit deux mandats de quatre ans. Mais cette limite n’était qu’un « précédent » établi par le premier président, George Washington, et respecté par les suivants. Le 32e président, Franklin D. Roosevelt, décida toutefois en 1940 de passer outre et gagna quatre élections présidentielles d’affilée.


Sa décision de ne pas respecter cette tradition entraîna l’adoption du 22e amendement, en 1947; elle limitait l’élection d’un président à deux mandats à vie, soit huit ans. Et depuis, personne ne présida plus aux destinées des États-Unis au-delà de huit ans. Franklin D. Roosevelt demeurera à jamais une exception.


Cette limitation avait aussi été introduite dans la Constitution russe, et empêchait Vladimir Poutine d’être élu une troisième fois d’affilée. Elle ne l’empêchait toutefois pas de revenir après le mandat d’un autre président, contrairement à la disposition américaine qui limite cette durée à huit ans, à vie.


Vladimir Poutine sut utiliser cette faille et, après un seul mandat de son fidèle remplaçant, notre apprenti dictateur fut réélu à la présidence pour une troisième fois.

Il aurait donc pu exercer la présidence à nouveau pour deux autres mandats de quatre ans et se retirer par la suite; mais les dictateurs de son espèce ne se retirent pas. Et c’est là qu’il utilisa l’instrument du referendum pour prolonger son règne.


Le référendum est considéré comme le meilleur parmi les instruments démocratiques pour exprimer la « volonté populaire ». À tort, si on n’y apporte pas les nuances et les règles précises qu’il requiert.

Le référendum peut et est souvent manipulé pour servir, non pas la volonté populaire, mais des intérêts particuliers, dont, dans ce cas-ci, ceux de Vladimir Poutine.


Quelles sont les règles qui doivent impérativement être suivies pour obtenir un résultat valable et exprimer cette véritable volonté populaire?


Tout d’abord, la question posée lors d’un référendum doit être claire et ne pas prêter à interprétation. Idéalement, elle devrait être validée par un organisme compétent et totalement indépendant de la cause débattue et des groupes partisans qui défendent l’une ou l’autre des options.


En second lieu, elle ne doit pas être noyée dans un ensemble de sujets différents pour éviter que les interprétations du résultat ne varient à l’infini.


En troisième lieu, tous les groupes, dont une presse totalement libre, et tous les citoyens, doivent pouvoir débattre publiquement et librement de leurs opinions au cours d’une période préréférendaire suffisamment longue pour permettre une réflexion suffisante.


En quatrième lieu, le vote doit pouvoir s’exprimer sans difficulté ni pression et aucun électeur ne doit être exclu de l’accès aux urnes.


En cinquième lieu, le dépouillement des résultats doit se faire devant des représentants de tous les groupes concernés et rendus publics par un organisme indépendant.


Et j’ajouterai, par mesure de précaution, qu’un référendum ne devrait pas permettre à quiconque de prolonger la durée de son mandat présidentiel au-delà d’une certaine durée afin d'éviter l’apparition d’un nouveau dictateur.


Une période de 10 ans serait une durée acceptable. Le détenteur du pouvoir a le temps d’imprimer sa marque, mais pas celui d’asservir son peuple.

Vladimir Poutine a violé presque toutes ces conditions à un moment ou un autre. De plus, lors d’un dernier référendum en 2019, il a fait prolonger la durée de son règne jusqu’en 2036. Aussi bien dire qu’il est devenu « Président à vie ». Si les règles énoncées précédemment avaient été appliquées, il n’aurait pas pu et ne pourrait pas se maintenir au pouvoir « légalement ». S’il s’y maintenait malgré tout par la force, en bafouant la Constitution et le pouvoir judiciaire responsable de son application, il perdrait le vernis de « démocrate » auquel ces personnages tiennent tant. Il deviendrait ainsi plus vulnérable.


L’exemple ci-dessus identifie une voie de passage qui doit être colmatée. Mais, pour se hisser à la dictature, il en existe bien d’autres. Une analyse approfondie permettrait de les identifier et de proposer les modifications requises pour y arriver.


Le monde bénéficie maintenant de nombreux exemples, surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Même s’il s’agit d’une courte période, elle est riche de situations variées où la liberté naissante en divers pays a été écrasée, faute des conditions minimales pour traverser cette fragile période initiale.


La moindre fissure dans une baignoire permet de la vider complètement. Il en est de même de nos libertés: un système incomplet ne nous permettra pas de les protéger efficacement.

La tâche, je le sais peut paraître insurmontable. Au-delà de recommandations, il faut convaincre et procéder dans de nombreux pays, à des modifications importantes de textes constitutionnels parfois lourds et controversés. C’est pourtant l’effort indispensable auquel il faut consentir pour étendre les bienfaits de la liberté partout dans le monde.


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